«On ne fait pas d’élection avec des prières »Proverbe québécois

 

École : un nouveau sondage mesure l’ampleur croissante des atteintes à la laïcité

Tablées à la cantine, toilettes ou robinets séparés en fonction de la religion des élèves, cours sur l’égalité des sexes contestés au nom de la religion, refus de donner la main à un(e) camarade, demandes de menus conformes aux normes confessionnelles… Ce dernier sondage Ifop effectué pour DVV le magazine de la LICRA confirme que la loi de 2004 interdisant les signes religieux à l’École n’empêche pas les tensions nées des diverses formes d’affirmations identitaires affectant le contenu des cours aussi bien que l’organisation d’autres aspects de la vie scolaire comme la cantine, les sorties scolaires,… Démonstration par les chiffres.

Alors que les premiers travaux mettant en exergue ces problèmes d’atteintes à la laïcité ou de la manifestation ostensible du religieux à l’école remontent à près d’une vingtaine d’années [1], les données permettant de mesurer précisément cette poussée du religieux à l’école manquent encore cruellement : la majorité des académies estiment que les différentes voies de signalement existantes tel que le pôle national « Valeurs de l’école de la République » (VALEREP), ne donnent qu’une vision « très incomplète de la réalité des atteintes au principe de laïcité en milieu scolaire ». C’est pourquoi, la LICRA et son magazine DDV ont commandé à l’Ifop une enquête visant à évaluer dans quelle mesure les lycéens sont confrontés dans leur scolarité à ces entorses au principe de neutralité religieuse. Pour cela, l’Ifop a un mis en place un dispositif d’étude reposant sur un échantillon représentatif d’un millier de lycéens qui permet, entre autres, d’évaluer le rôle que peuvent jouer sur le sujet certains contextes sociaux ou scolaires comme le fait d’être dans
une banlieue « pauvre » ou un lycée classé « prioritaire » (selon l’OZP).

La lecture de cette étude révèle que les manifestations identitaro-religieuses qui affectent la vie scolaire sont loin d’être un phénomène marginal : plus de la moitié des élèves inscrits dans le second cycle du second degré y ont déjà été exposés au moins une fois et leur exposition à ces problèmes est encore plus massive dans les établissements marqués du sceau de la relégation sociale ou scolaire. Ces jeunes, et tout particulièrement les lycéens musulmans et/ou scolarisés dans les lycées classés « prioritaire », se distinguent aussi par un fort attachement au « respect » des religions et donc par une forte réticence à toute forme d’irrévérence envers les dogmes et personnages religieux. L’importance de la présente enquête Ifop/LICRA auprès des lycéens est donc de donner enfin une mesure objective, chiffrée, de l’ampleur des principaux différentes formes d’atteintes à la laïcité.

Les banlieues populaires cristallisent les atteintes au principe de laïcité

Les incidents relevés dans le rapport Aubin de 2004, réactualisés dans un essai paru en 2020 [2] sont loin d’être « anecdotiques » selon les auteurs de l’étude qui souignent qu’au contraire, ils concernent désormais une proportion importante de la population lycéenne, voire très majoritaire en éducation prioritaire. Ainsi, l’enquête montre que plus d’un lycéen sur deux (55%) a déjà été confronté à une forme d’expression du fait religieux en milieu scolaire, les plus répandues étant les demandes de menus « confessionnels » (47%), les refus d’activités pédagogiques des jeunes filles au nom de leur religion – 31% pour des cours de natation et 26% pour des cours d’EPS, mais aussi un rejet des références religieuses de certaines activités pédagogiques (24% de refus d’entrer dans un édifice religieux) ou moments de vie scolaire (27% de contestations des repas de Noël).

La confrontation à des formes d’expression du « religieux ».
Comparatif entre les réponses des lycéens et des enseignants du secteur public

D’autres expressions des identités religieuses illustrent chez une partie des élèves une volonté de vie scolaire séparée. En effet, 16% des lycéens du public ont déjà constaté l’organisation à la cantine de tables en fonction de la religion (33% dans les lycées classés « prioritaires »), 15% des WC séparés en fonction de leur religion (30% en milieu « prioritaire ») et 13% l’institution de robinets réservés aux élèves en fonction de confession (32% en milieu « prioritaire »).

La confrontation à des formes d’expression du « religieux »
Réponses en fonction du classement du lycée en établissement « prioritaire »

L’étude montre ainsi que de manière générale, les lycées situés dans des banlieues sensibles semblent particulièrement exposés à ces formes d’expressions du « religieux » : 63% des lycéens inscrits dans un établissement classé « prioritaire » en ont déjà observé au cours de leur scolarité. Et la différence d’exposition avec les autres établissements est souvent significative comme par exemple pour les refus de donner la main à un(e) camarade, rapportés par 46% des lycéens en milieu « prioritaire » contre seulement 15% dans les autres établissements .

Une « poussée du religieux »

Si ces formes d’expression religieuse peuvent affecter les divers aspects de la vie scolaire, cette « poussée du religieux » (cf : Iannis Roder) se traduit jusque dans la remise en cause du contenu même des enseignements.
Ainsi, comme le montre le sondage effectué par l’Ifop, près d’un lycéen sur deux du secteur public (48%) rapporte avoir déjà observé au cours de sa scolarité de contenus d’enseignement contestés au nom de convictions religieuses. Et il n’y a pas vraiment de cours qui soient beaucoup plus affectés que les autres : environ trois lycéens sur dix en ont déjà constaté lors d’un cours soit d’Éducation morale et civique (34%), soit sur la laïcité (30%), soit sur des questions liées à la mixité (32%) ou consacré à l’égalité filles-garçons (31%) ou soit encore lors de cours d’éducation physique et sportive (29%). De plus, la même proportion d’élèves du public en a déjà vu dans des cours d’histoire-géographie (30%) ou de Sciences de la Vie et de la Terre (29%). Seuls les cours d’éducation artistique (22%) semblent faire un peu moins l’objet d’altercations au nom de la religion.
Mais au-delà des tendances concernant l’ensemble du territoire métropolitain, l’étude relève que ces problèmes que ces problèmes affectent particulièrement certains espaces de relégation sociale et scolaire. Ainsi, les élèves inscrits dans un établissement classé « prioritaire » (selon l’OZP) sont beaucoup plus nombreux (74%) que les autres (44%) à avoir déjà observé au moins une forme de contestation d’un cours.

Ainsi si dans leur ensemble, à l’échelle du territoire, ces différentes formes de contestation des cours au nom de la religion ne sont soutenues que par une minorité de lycéens - le sondage relève que seuls 21% des lycéens ont déjà soutenu au moins fois une des ces revendications identitaires - cependant, certaines fractions de la population lycéenne partagent fortement le point de vue des élèves à l’origine de ces contestations. Parmi elles on trouve au premier rang les élèves musulmans (49%), ceux appartenant à une minorité ethnique (49%) ou encore ceux inscrits dans un établissement classé « prioritaire » (53%).

« Touche pas à mon Dieu »…

L’étude dresse au travers de ses sondages le portrait de lycéens beaucoup plus orthodoxes que leurs ainés dans leur rapport à la religion. Les auteurs voient comme raison au soutien des élèves à ces expressions de religiosité en milieu scolaire, la conception particulière qu’ils ont des religions. Leur analyse du rapport des lycéens à la religion dans la société en général et à l’école en particulier met ainsi en lumière un double clivage : celui entre les jeunes et le reste des Français d’une part, celui entre les jeunes musulmans et le reste de la jeunesse d’autre part.

La perception de la supériorité de sa religion par rapport aux lois de la République et aux autres cultes religieux.

Quand ils sont interrogés sur leur rapport à la religion, les lycéens s’avèrent ainsi deux fois plus nombreux (40%) que l’ensemble des Français (23%) à estimer que « les règles édictées par leur religion sont plus importantes que les lois de la République », sachant que leur position sur le sujet est « tirée vers le haut » par les réponses des musulmans qui y adhèrent, eux, très majoritairement (à 65%). La position particulière des musulmans sur ces questions, le rapport beaucoup plus orthodoxe qu’ils entretiennent généralement avec la religion se retrouve chez les jeunes musulmans qui se distinguent à l’école par leur une volonté accrue à se conformer aux injonctions de la religion à laquelle ils sont rattachés culturellement. Mais cette orthopraxie, relève le rapport, est loin d’être une spécificité des musulmans : une forte proportion d’élèves inscrits dans des lycées classés « prioritaires » (76%), perçus comme « non-blancs » (60%) ou vivant dans des banlieues populaires (55%) partagent également majoritairement leur point de vue sur la hiérarchie entre les normes civiles et religieuses. D’après Olivier Galland, cité par l’étude, il faut peut-être y voir le fruit d’un « phénomène d’acculturation leur faisant rejoindre les opinions de leurs camarades musulmans lorsque ceux-ci sont très représentés dans l’espace scolaire » [3].
Ce hiatus entre les lycéens et le reste de la population se retrouve dans le soutien plus fort qu’ils apportent à l’idée que leur « religion est la seule vraie religion » : 39% des lycéens partagent cette idée, contre à peine 18% des adultes ayant une confession. Et là aussi, les élèves musulmans se distinguent en partageant ce point de vue dans une proportion beaucoup plus forte (65%) que chez les catholiques (27%).

Une critique des religions dans l’espace scolaire qui ne passe pas chez les élèves musulmans

Très attachée aux préceptes religieux et à la notion de « respect », cette jeunesse populaire est aussi moins tolérante à toutes formes d’irrévérence envers les dogmes religieux au point de la traduire en une condamnation moins ferme des violences commises dans ce contexte. L’étude de l’Ifop s’est attaché au cas emblématique et terrible de Samuel Paty. Il relève que de manière générale, le choix – adopté par Samuel Paty – de présenter des dessins se moquant des religions est moins soutenu par les lycéens (61%) que par l’ensemble des Français (73%). Mais pointe également que cette question du droit à la critique des religions dans l’enceinte scolaire met surtout en exergue le fossé existant sur ce plan entre les musulmans et le reste de cette jeunesse scolarisée dans le second degré. En effet, alors que la plupart des lycéens jugent majoritairement « justifié que les enseignants puissent montrer à leurs élèves (…) des caricatures se moquant des religions afin d’illustrer les formes de liberté d’expression », les jeunes musulmans s’y opposent massivement : à 81%.

Le jugement sur le droit des enseignants à critiquer à critiquer les dogmes religieux à l’école

De même, indique l’étude, si la très grande majorité des lycéens « condamnent totalement » (à 87%) l’assassinat de Samuel Paty, la désapprobation radicale de ce meurtre fait moins l’unanimité chez les élèves musulmans : 9% d’entre eux « condamnent l’assassin mais partagent certaines de ses motivations », 9% se disent indifférents à son égard et 4% « ne le condamnent pas ». Au total, un quart des élèves musulmans n’expriment donc pas une condamnation totale de l’assassin de Samuel Paty, soit deux fois (25%) que ce que l’on observe en moyenne chez l’ensemble des lycéens (13%). Mais cette indifférence à l’égard du meurtre du professeur tient aussi beaucoup au contexte scolaire dans lequel les élèves étudient : les lycéens ne condamnant pas son assassinat (8% en moyenne) étant particulièrement surreprésentés en milieu d’éducation prioritaire (21%) et chez les élèves ayant le sentiment d’être dans un « mauvais lycée » (31%).

Cette enquête à été dirigée et supervisée par François Kraus, directeur du pôle « Politique / Actualités » de l’Ifop et Jean-Pierre Obin, Inspecteur général honoraire de l’Education nationale.

Le point de vue de Jean-Pierre Obin sur l’enquête

La récente série d’enquêtes réalisées par l’Ifop auprès des Français, des enseignants et des lycéens (2018-2019-2020-2021), fait apparaître deux clivages qui ne peuvent laisser indifférents le pouvoir politique…
Le premier s’observe entre les jeunes et leurs ainés, notamment sur l’attitude vis-à-vis des religions et sur la conception de la laïcité. Premier paradoxe, alors qu’en France la sécularisation ne cesse de progresser se fait jour chez les jeunes une conception de la laïcité mettant en avant un « respect » sans vraiment de nuance des religions, laissant de côté la garantie fondamentale instituée par cette loi : celle de la liberté de conscience. Autrement dit la double obligation faite à l’État : d’une part assurer la libre critique des religions et de l’autre s’opposer aux pressions communautaristes qui visent à enfermer les individus dans leur origine. L’autre paradoxe est que c’est la montée de l’individualisme - et donc au nom d’une conception radicale de la liberté individuelle et de la lutte contre toute forme de discrimination - que se développe une neutralité, voire une complaisance pour des idéologies religieuses qui promeuvent la supériorité de la loi de Dieu sur les principes républicains, et par conséquences l’absence de liberté pour les individus ou d’égalité entre femmes et hommes. Le défi posé à l’institution scolaire réside donc dans sa capacité à enseigner et à développer en son sein une conception émancipatrice du principe de laïcité, celle inscrite dans les deux premiers articles de la loi de 1905 ; et de combattre à la fois la conception erronée qui se développe chez les lycéens d’une simple neutralité de l’État par rapport aux religions, et le sentiment exprimé par la grande majorité des élèves musulmans d’une laïcité antireligieuse et spécifiquement antimusulmane. Comment faire, sinon par un effort conséquent et prolongé de formation des enseignants et par une reprise en main de cadres parfois davantage préoccupés d’éviter les conflits qu’enclins à défendre les principes républicains ?

Un second clivage apparaît entre les lycéens. Il concerne les opinions de ces élèves sur la place et l’importance que devraient prendre la religion et ses dogmes dans l’enseignement et la vie scolaire. Ces opinions et les comportements qu’elles induisent, distinguent nettement les lycéens musulmans de leurs condisciples sans religion ou d’autres confessions et semblent parfois justifier le terme de « séparatisme » utilisé par le Gouvernement. Cette porosité au fondamentalisme religieux s’explique-elle, comme on le pense certains à gauche gauche, par la situation sociale faite aux musulmans et les discriminations dont ils seraient victimes ? Pourtant Anne Muxel et Olivier Galland n’observent aucune corrélation entre l’origine sociale des lycéens musulmans et leur éventuelle radicalisation religieuse[9]. Mais Hugo Micheron note de son côté un lien entre l’endoctrinement de certains jeunes musulmans et l’autarcie culturelle et politico-religieuse de leur quartier, allant jusqu’à parler « d’enclaves islamistes » [4]. C’est donc moins la classique « question sociale » que la question de la mixité sociale, ethnique et religieuse, dans les quartiers urbains comme dans le système scolaire, qui devrait interroger les hommes politiques soucieux de défendre la laïcité. Les politiques sociales redistributives menées pendant des décennies (politique de la Ville, éducation prioritaire) ont-elles permis de favoriser cette mixité ? Et ont-elles même vraiment visé à la préserver ? N’ont-elles pas eu des effets parfois contreproductifs dans ce domaine ? Pour n’en donner qu’un exemple : quel intérêt un principal de collège peut-il trouver à retenir ou faire revenir des familles de classe moyenne alors que la paupérisation de son établissement lui vaut mécaniquement davantage de moyens ? Peut-on à la fois stigmatiser le séparatisme politico-religieux – réel - des uns et laisser se développer – par le financement de l’enseignement privé et les dérogations à la carte scolaire – l’entre-soi social, ethnique et religieux des autres ? Il est des incohérences qui méritent peut-être, à l’occasion notamment de l’échéance présidentielle, d’être interrogées.

Méthodologie  : Etude Ifop pour LICRA et le Droit de Vivre réalisée en ligne du 15 au 20 janvier 2021 auprès d’un échantillon national représentatif de 1 006 lycéens âgés de 15 ans et plus. La représentativité de l’échantillon a été assurée par la méthode des quotas (sexe, âge, type d’enseignement, filière et niveau, secteur, académie, affiliation religieuse) à partir de des statistiques du ministère de l’Education (RERS 2020) et de celles de l’Institut Montaigne.

[1Georges Bensoussan, Les Territoires perdus de la République, 2002 ; Jean-Pierre Obin, Les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires, 2004.

[2Jean-Pierre Obin, Comment on a laissé l’islamisme pénétrer l’école, Hermann, 2020

[3Olivier Galland, La laïcité au prisme du regard des jeunes, Telos, 1er décembre 2019.

[4Hugo Micheron, Le jihadisme français, quartiers, Syrie, prisons, Gallimard, 2020

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