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  • Publié le 8 décembre 2025

Laïcité : 120 ans d’impasse pédagogique ou de la nécessité de revenir à l’article de Fernand Buisson

La loi de séparation des Églises et de l’État du 9 décembre 1905 fête cette semaine ses 120 ans. Comme chaque année, l’anniversaire que l’on célèbre est celui de la loi dite « de la laïcité » ou plus simplement de la laïcité. Pourtant, et ce n’est pas une découverte, le mot « laïcité » n’apparait pas dans le texte de loi de 1905. Le mot laïcité, nous le devons à un proche de Jules Ferry, au philosophe, pédagogue et homme politique, Ferdinand Buisson. Regardons ce que nous en dit son inventeur dans son Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire, publié en 1887. « Ce mot est nouveau, et, quoique correctement formé, il n’est pas encore d’un usage général. Cependant le néologisme est nécessaire, aucun autre terme ne permettant d’exprimer sans périphrase la même idée dans son ampleur. (….) La laïcité ou la neutralité de l’école à tous les degrés n’est autre chose que l’application à l’école du régime qui a prévalu dans toutes nos institutions sociales. (…) Ce n’est que par le lent travail des siècles que peu à peu, les diverses fonctions de la vie publique se sont distinguée, séparées les unes des autres et affranchies de la tutelle étroite de l’Église (…) C’est l’histoire d’un long processus de séparation du spirituel et du temporel (…) Toute société qui ne veut pas rester à l’état de théocratie pure est bientôt obligée de constituer comme forces distinctes de l’Église, sinon indépendantes et souveraines, les trois pouvoirs législatif, exécutif, judiciaire. Mais la sécularisation n’est pas complète quand sur chacun de ces pouvoirs et sur tout l’ensemble de la vie publique et privée le clergé conserve un droit d’immixtion, de surveillance, de contrôle ou de veto. Telle était précisément la situation de notre société jusqu’à la Déclaration des droits de l’homme. La Révolution française fit apparaître pour la première fois dans sa netteté entière l’idée de l’État laïque, de l’État neutre entre tous les cultes, indépendant de tous les clergés, dégagé de toute conception théologique  ».
La lecture de ces premières lignes de l’article « laïcité » du dictionnaire de Fernand Buisson, nous rappelle que la séparation entre le pouvoir temporel et atemporel est à l’origine des confrontations politiques successives entre l’État et l’Église et s’est réalisée dans la Révolution française et la Déclaration universelle des droits de l’homme. Mais le mot, lui, est attaché à la loi du 28 mars 1882 sur l’école de Jules Ferry, il nait du champ éducatif : « C’est la séparation, si longtemps demandée en vain, de l’église et de l’école  » écrit Ferdinand Buisson. Quant à l’idée de laïcité, elle est d’essence pédagogique et se déploie pour garantir le bien vivre en société : «  L’instituteur à l’école, le curé à l’église, le maire à la mairie. Nul ne peut se dire proscrit du domaine où il n’a pas entrée : c’est le fait même de la distinction des attributions, qui n’a rien de blessant pour personne ni de préjudiciable pour aucun service ». On (re) découvre aussi sous la plume de Ferdinand Buisson que « Quelques pays nous avaient précédés dans cette voie.  », comme la Hollande, l’Autriche, la Suisse, la Belgique, les États-Unis, même si, ajoute l’auteur, « La législation française de 1882 est une de Celles qui ont le plus logiquement et le plus complètement établi le régime de la laïcité. »

Vue d’aujourd’hui, la laïcité a un être polymorphe, assez éloigné de sa définition initiale. Edictée en loi pour être appliquée, la laïcité a été ensuite érigée en principe républicain (la République est qualifiée de « laïque » au même titre ou rang qu’« indivisible », « démocratique » et « sociale » dans l’article 1er de la constitution française de 1947 puis de 1958) pour être universalisée, et depuis 1989, avec l’affaire du voile de Creil, elle est très souvent reconduite au concept (représentation abstraite d’un objet ou d’un ensemble d’objets ayant des caractères communs) afin d’être expliquée, (re)pensée et débattue par les militants, les politiques, les historiens, les philosophes, les sociologues et autres théoriciens de la laïcité.
La compréhension actuelle de l’idée de laïcité tient de cette pluridimensionnalité. Elle ne se laisse pas saisir dans sa globalité. Ce qui la rend de plus en plus contestable et de moins en moins applicable y compris par ceux, les élus, qui sont censé la faire respecter. Comprendre la lettre et l’esprit de la Laïcité, c’est toute la difficulté que nous pose aujourd’hui ce néologisme inventé par Ferdinand Buisson et dont il a évoqué lui même d’emblée « l’ampleur ». Et pourtant, il suffit de relire son article pour trouver les réponses aux arguments des détracteurs de la laïcité.
Exemple. Il est courant d’entendre dans le débat public l’affirmation selon laquelle, « la loi de 1905 n’est plus adaptée car elle séparait d’abord l’Église catholique de l’État avec une absence de prise en considération des autres cultes, en particulier de l’islam ». En nous référant à la définition du mot, nous pouvons répondre, en le justifiant précisément, que cette affirmation est fausse et tout à fait contraire à la lettre de la loi de 1882 ainsi qu’à l’idée de laïcité qui en découle. En appelant à distinguer « deux questions que l’on confond souvent la laïcité du personnel enseignant et la laïcité de l’enseignement lui-même » Fernand Buisson rappelle que si « la loi exige de celui qui veut être instituteur public ou privé certaines conditions et certaines garanties (…) On ne voit pas pourquoi elle frapperait d’interdit une catégorie quelconque de citoyens. De même qu’elle ignore s’ils sont catholiques, protestants, israélites (Il aurait sans doute ajouté musulmans s’il avait écrit cet article de nos jours), elle peut ignorer s’ils ont fait voeu de célibat, s’ils portent la soutane ou le béguin. Ils seront dans le droit commun, le jour où on les nommera dans les mêmes formes et aux mêmes conditions que leurs collègues laïques s’ils s’y soumettent, pourquoi maintenir une distinction entre eux et les autres  ? ». Preuve nous est donnée ici que la lettre et l’esprit de la loi de 1882 ne stigmatisaient pas la seule Église catholique mais traitait impartialement tous les cultes en garantissant la liberté de conscience pour tous comme on peut le lire plus loin : « On serait mal fondé à dire : Il y a incompatibilité entre la fonction d’instituteur public par exemple et le fait d’être israélite, parce que l’israélite ne voudra pas travailler le samedi. Il est possible que tel israélite se refuse à cette obligation, et comme c’est une obligation de la charge, il ne peut être nommé ou maintenu. Mais il est possible aussi qu’il se plie à cette nécessité, et nous n’avons pas le droit de prévoir le contraire pour l’éliminer. »

La prise en compte de l’islam dans la société française est aujourd’hui la pierre de touche du débat sur le bien-fondé du principe de laïcité, de son application par tous les citoyens français et résidents sur le sol français et surtout de son respect garanti par l’État. Un débat de plus en plus inflammable quand il s’agit pour certains élus locaux de dénoncer le port ostensible de signes religieux dans l’espace public, les mêmes, garants du respect de la laïcité, n’hésitant pas à s’affranchir de la loi du 9 novembre de 1905 et de la laïcité en installant des crèches de Noël dans leurs mairies.
Sur ce point du respect des lois et textes de la laïcité, mais plus encore sur leur application, nous voudrions rappeler les termes de la circulaire du 2 novembre 1882 concernant le retrait des emblèmes religieux à l’école, circulaire dans laquelle le ministre, Jules Ferry, trace aux préfets une ligne de conduite qui se résume ainsi : « Vous n’accorderez, sous aucun prétexte, ni atermoiement, ni concession qui puisse porter atteinte au principe même de la loi ; mais quant aux mesures indifférentes en elles-mêmes, quant aux délais qui vous seront demandés, non pour éluder la loi, mais pour en mieux assurer le fonctionnement, vous êtes seul juge des ménagements à garder ; et, pour en marquer la limite dans chaque espèce, vous vous rappellerez toujours que le gouvernement, plein de confiance dans le bon sens public, a la prétention, tout en faisant respecter la loi, de la faire comprendre et de la faire aimer.  » Ferdinand Buisson a conclu son article « laïcité », par ce passage, jugeant « qu’ il formera la conclusion naturelle » de son article. Ce pourrait être aussi la nôtre avec la forte recommandation à le (re) lire ici].
Toutefois, nous l’avons souligné, la laïcité - dans la première apparition du mot et sa définition qui nous provient du dictionnaire de Ferdinand Buisson publié en 1887 - est attachée à l’éducation. Elle est consubstantielle à l’école publique tant comme méthode pédagogique que comme pédagogie du bien vivre ensemble. Il y a donc l’impérative nécessité de revoir sa lecture actuelle, de se pencher à nouveau sur cette idée pour la considérer, la reconnaître comme une entreprise pédagogique. La laïcité et la loi du 9 décembre 1905, cette « loi de liberté » comme la définissait son rapporteur Aristide Briand, dont la portée émancipatrice et protectrice fonde le pacte républicain, établit un cadre commun qui protège les libertés individuelles en même temps que l’égalité de tous les citoyens, institue la neutralité de l’État, garantit l’ordre public et l’exercice de la fraternité, n’est rien si le gouvernement n’arrive pas à « la faire comprendre » et à « la faire aimer », fusse-t-il obligé à l’inimaginable : la réécrire ou au moins moderniser son explication en s’inspirant de la vision de celui qui l’a nommée.

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