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  • Michel SEELIG
  • Publié le 24 mai 2020

La théologie à l’université du Moyen Âge à nos jours

Ces dernières années, la montée de l’islamisme et des attentats terroristes en France a conduit les pouvoirs publics à réfléchir sur le rôle des imams et à leur formation civique et théologique. Dès lors, certaines universités ont été mises à contribution pour la création de Diplôme Universitaire ad’hoc. Mais l’enseignement de la théologie à l’université a une longue histoire comme Michel Seelig nous le rappelle et en dresse un état actuel.

Avant d’aborder l’histoire de l’enseignement de la théologie, il convient de préciser la consistance du concept de théologie.
Le Dictionnaire critique de Théologie [Publié aux PUF en 1998 sous la direction de Jean-Yves Lacoste] nous apprend que le terme grec theologia signifie « discours sur les choses divines », terme apparu d’abord chez Platon… « dans un passage ou celui-ci s’interroge sur l’utilisation pédagogique de la mythologie ». Et, « les associations de la théologie avec la mythologie païenne expliquent le peu d’empressement que le christianisme mit à [la] prise de possession » de ce terme… Mais, à compter du XIIIe siècle « la scolastique tardive ne se donnera presque plus pour seul nom que celui de théologie ».
Alain Rey, dans son Dictionnaire culturel en langue française [Le Robert 2005] précise que la théologie est « l’étude des questions religieuses, fondées principalement sur les textes sacrés, la tradition, la révélation, selon une orthodoxie ».
De cette dernière définition, nous retiendrons deux aspects : la théologie est une étude ; elle se veut fidèle à une orthodoxie.
Cela distingue ainsi la théologie à la fois du catéchisme (enseignement des dogmes que le fidèle doit obligatoire accepter) et de l’enseignement du fait (ou plutôt des faits) religieux, tel qu’il fait partie des programmes de notre enseignement public.

Les universités d’Ancien Régime

Les universités apparaissent en Europe occidentale au Moyen Âge : l’Université de Paris est ainsi officiellement reconnue par le roi de France et par le pape au début du XIIIe siècle. Philippe Auguste accorde à tous ses membres le privilège d’être jugé par un tribunal ecclésiastique et non civil. Les membres de l’Université sont donc alors tous considérés comme des clercs.
Sur un modèle comparable, d’autres institutions sont créées dans les Provinces, dès le XIIIe siècle à Toulouse, Perpignan et Montpellier…

Le recteur de l’université entouré des doyens des quatre facultés (théologie, médecine, droits, arts). Les enseignements juridiques conservaient incontestablement le premier rang alors que, dans le même temps, ceux des lettres accusaient un certain recul ; la théologie devenait, quant à elle, plus importante et la médecine allait patiemment de l’avant- Joseph-Barthélémy François Carrère, « Voyage pittoresque de la France... Province de Roussillon », Paris, 1787)

On notera aussi la création plus tardive d’une université à Strasbourg en 1538 : il s’agit en fait alors du Gymnase protestant, élevé au rang d’Académie en 1556 avant d’être transformé successivement en Université (1621), puis en Université royale (1631).
Dans ces établissements, la théologie occupait une place de choix, aux côtés de la médecine et du droit (L’enseignement des « Arts libéraux » le « trivium » et le « quadrivium » c’est-à-dire grammaire, dialectique et rhétorique puis arithmétique, musique, géométrie et astronomie, était le domaine de la « Faculté des Arts », une forme de propédeutique.)

Le collège de Sorbonne en 1850

Les universités, et principalement l’Université de Paris (« LA Sorbonne »), jouèrent un rôle éminent dans la vie intellectuelle, religieuse et aussi politique de la France. Jalouses de leur autonomie, elles luttèrent constamment pour préserver leurs privilèges et leur indépendance, tant vis-à-vis du pouvoir royal que du pouvoir pontifical.

Révolution et Empire

Sous la Révolution, le 15 septembre 1793, un décret de la Convention supprime toutes les universités. En revanche, pour former les cadres indispensables à la Nation, il est créé des grandes écoles spéciales : l’École centrale des travaux publics (par la suite École polytechnique), le Conservatoire des arts et métiers, l’École des langues orientales, l’École des beaux-arts...
Ce n’est qu’avec Napoléon que de nouvelles structures sont mises progressivement en place sur l’ensemble du territoire. Le 10 mai 1806 est créée l’Université impériale… une structure d’État qui jouit du monopole de l’enseignement et intègre en son sein tous les établissements de tout le territoire.
Le décret impérial portant organisation de l’Université, du 17 mars 1808 prévoit six ordres d’écoles, toutes publiques : les facultés (théologie, droit, médecine, sciences mathématiques et physiques, lettres) ; les lycées ; les collèges ; les institutions ; les pensionnats ; les petites écoles (primaire). Dans les 27 villes, sièges d’académies gouvernées par un recteur, se trouvent les facultés, organismes d’État, directement administrées par le pouvoir central qui désigne leurs doyens.
On notera par ailleurs que l’Église ne dispose alors plus de la possibilité d’enseigner, sauf à ses propres cadres. Le décret du 10 mai 1806 dispose en effet que :

  • Article 1er L’enseignement public, dans tout l’Empire, est confié exclusivement à l’Université
  • Article 3 Nul ne peut ouvrir d’école, ni enseigner publiquement, sans être membre de l’Université impériale, et gradué par l’une de ses Facultés. Néanmoins, l’instruction dans les Séminaires dépend des archevêques et évêques, chacun dans son diocèse. Ils en nomment et révoquent les directeurs et professeurs. Ils sont tenus seulement de se conformer aux règlements pour les Séminaires, par nous approuvés

L’article 6 cependant, prévoit qu’ « Il y aura, dans l’Université impériale, cinq ordres de Facultés ; savoir : 1° Des Facultés de théologie  ; 2° Des Facultés de droit ; 3° Des Facultés de médecine ; 4° Des Facultés de sciences mathématiques et physiques ; 5° Des Facultés des lettres.  »

Et les articles 7 à 10 :

  • L’évêque ou l’archevêque du chef-lieu de l’Académie présentera au Grand-Maître les docteurs en théologie, parmi lesquels les professeurs seront nommés. Chaque présentation sera de trois sujets au moins, entre lesquels sera établi le concours sur lequel il sera prononcé par les membres de la Faculté de théologie. Le Grand-Maître nommera, pour la première fois, les doyens et professeurs entre les docteurs présentés par l’archevêque ou l’évêque ainsi qu’il est dit ci-dessus. Les doyens et professeurs des autres Facultés seront nommés, pour la première fois, par le Grand- Maître.
  • Il y aura autant de Facultés de théologie que d’églises métropolitaines ; et il y en aura une à Strasbourg et une à Genève [qui faisait alors partie de l’Empire] pour la religion réformée. Chaque Faculté de théologie sera composée de trois professeurs au moins ; le nombre pourra en être augmenté, si celui des élèves paraît l’exiger.
  • De ces trois professeurs, l’un enseignera l’histoire ecclésiastique, l’autre le dogme, et le troisième la morale évangélique.
  • Il y aura à la tête de chaque Faculté de théologie, un doyen qui sera choisi parmi les professeurs.

Le XIXe siècle

Il y eut ainsi des facultés publiques de théologie auprès de chaque église métropolitaine, c’est-à-dire les archevêchés de Paris, Aix en Provence, Besançon, Bourges, Rouen, Lyon et Toulouse.
L’historien René Epp nous apprend cependant que « Ces Facultés n’eurent jamais la faveur du clergé. Les évêques les boudaient parce qu’elles concurrençaient leurs séminaires. Rome leur reprochait leurs tendances gallicanes et libérales [… Elles] ne purent en tout cas jamais obtenir du Saint-Siège l’institution canonique, si bien que les grades qu’elles délivraient étaient dépourvus de valeur canonique » [1]
La loi du 12 juillet 1875 relative à la liberté de l’enseignement supérieur dite Loi Laboulaye, du nom du rapporteur du projet Édouard René Lefebvre de Laboulaye, député « Républicain conservateur » de Paris, permet la création d’établissements privés. Elle dispose en effet que :

  • L’enseignement supérieur est libre.
  • Tout Français âgé de vingt-cinq ans, n’ayant encouru aucune des incapacités prévues par l’article 8 de la présente loi, les associations formées légalement dans un dessein d’enseignement supérieur, pourront ouvrir librement des cours et des établissements d’enseignement supérieur

Les facultés publiques de théologie subissent dix ans plus tard une « extinction budgétaire » : la loi de finances du 21 mars 1885 supprime les crédits affectés aux facultés de théologie catholique.
En revanche, l’École Pratique des Hautes Études (EPHE), créée en 1868, ouvre une 5ème Section en 1886 : la Section des Sciences religieuses. Et, en 2002, toujours au sein de l’EPHE, est créé l’Institut Européen en Sciences des Religions (IESR).

L’Alsace et la Moselle

La guerre franco-prussienne de 1870 et la défaite française conduisent à l’annexion (de 1871 à 1918) des territoires qui constituent aujourd’hui les 3 départements de la Moselle et du Rhin. Le maintien à titre transitoire de dispositions juridiques en vigueur lors du retour à la France a permis la poursuite de l’activité d’établissements d’enseignement supérieur publics délivrant un enseignement de théologie.
La Faculté de théologie protestante de Strasbourg, instituée, nous l’avons vu, par décret impérial du 17 mars 1808, est confirmée par la loi allemande du 28 avril 1872.
Elle est maintenue de fait en 1918, au retour de l’Alsace à la France.

Photographie immortalisant une excursion des membres de la Faculté de théologie protestante de Strasbourg en 1920. Coll. Médiathèque protestante de Strasbourg.

Le recueil de textes Le droit local cultuel d’Alsace-Moselle, publié par le ministère de l’Intérieur [2], présente son histoire récente : " Aujourd’hui cette faculté a pris la forme d’un institut au sein de l’université de sciences humaines de Strasbourg, délivrant des enseignements de la licence au doctorat […] L’organisation des cultes protestants conférait aux autorités religieuses un rôle consultatif sur le choix des professeurs. L’article 32 de la loi Edgar Faure de 1968 sur l’enseignement supérieur a mis un terme à cette situation en excluant les représentants des deux cultes des commissions de sélection des enseignants. Cette exclusion a fait débat […] Cet article [d’un décret de 1852] a été remanié par l’article 4 du décret du 18 avril 2006 sur l’organisation des cultes protestants qui supprima la mention selon laquelle le Directoire donne un avis motivé sur les candidats aux chaires de la faculté. Dans la pratique, prévaut un esprit de coopération entre les Églises et l’université."

La Faculté de théologie catholique de Strasbourg est créée par la Convention du 5 décembre 1902 entre le Saint-Siège et le gouvernement allemand.
Cette Convention dispose notamment que :
- L’instruction scientifique sera donnée aux jeunes clercs du diocèse de Strasbourg par une faculté de théologie catholique qui sera érigée à l’Université de Strasbourg. En même temps, le grand séminaire épiscopal continuera d’exister et de fonctionner pour l’éducation pratique desdits clercs qui y recevront l’enseignement nécessaire dans toutes les matières se rapportant à l’exercice des fonctions sacerdotales [Article 1er]
- La nomination des professeurs se fera après entente préalable avec l’évêque. Avant d’entrer en fonctions, les professeurs auront à faire la profession de foi entre les mains du doyen, suivant les formes de l’Église. [Article 3]
- Si la preuve est fournie par les autorités ecclésiastiques qu’un des professeurs doit être considéré comme incapable de continuer son professorat, soit pour manque d’orthodoxie, soit en raison de manquement grave aux règles de la vie et de conduite d’un prêtre, le gouvernement pourvoira sans délai à son remplacement et prendra les mesures propres à faire cesser la participation dudit professeur aux affaires confiées à la faculté. [Article 5]

Après le retour de l’Alsace à la France, un échange de lettres entre le Vatican et le gouvernement français (Raymond Poincaré), en 1923, confirme totalement ces dispositions.
La faculté de théologie catholique est aujourd’hui intégrée au sein de l’université de Strasbourg (UNISTRA), sous la forme d’un institut où est dispensé un enseignement de la licence au doctorat. Son ancien Doyen, professeur de dogmatique catholique, est aujourd’hui président de l’université publique.

La situation en Moselle, à Metz.

En 1965, la faculté catholique de Strasbourg crée une antenne à Metz, le Centre de pédagogie religieuse, CPR, qui a vocation à former des enseignants en religion dans les lycées.
En 1970, une université est créée à Metz, ainsi qu’une faculté des lettres et sciences humaines. Celle-ci accueille le CPR.
Le 25 mai 1974, l’État français signe une Convention avec le Vatican qui donne au Centre autonome d’enseignement de pédagogie religieuse (CAEPR) de Metz son indépendance vis-à-vis de la faculté de Strasbourg et un statut proche de l’établissement alsacien. Il propose depuis lors un parcours complet en théologie, sans délivrer toutefois de diplômes canoniques.

Les Jardins du CAEPR de Metz

Avec la création de l’université de Lorraine (le 1er janvier 2012, par la fusion des établissements de Metz et Nancy), le CAEPR devient un département de la nouvelle entité universitaire.
L’article 3 de la Convention de 1974 dispose que « Les rapports entre le Centre Autonome d’Enseignement de Pédagogie Religieuse et ses membres, d’une part, et les autorités ecclésiastiques, d’autre part, s’ordonnent conformément aux stipulations en vigueur entre le France et le Saint-Siège régissant la Faculté de Théologie Catholique de Strasbourg »

Or, en 2018, l’évêque de Metz, vraisemblablement insatisfait de l’enseignement délivré, décide de se retirer du CAEPR et de former lui-même les cadres du diocèse… Il ne demande en revanche pas la dénonciation de la Convention de 1974…
Les enseignants du CAEPR décident alors de poursuivre leur activité du département de théologie de l’Université de Lorraine, en souhaitant « repenser la théologie dans la pluralité religieuse »…
Une situation juridiquement contestable, si l’on suit les dispositions d’une décision du Conseil constitutionnel [3]] sur l’impossibilité faite aux droit alsacien-mosellan d’évoluer par lui-même...

[1EPP René, Aperçu sur les Facultés et les Écoles de théologie catholique en France au XIXe siècle, Strasbourg, Revue des Sciences religieuses, n° 64/1, Université des Sciences humaines de Strasbourg, 1990, pp. 53-71

[2Journaux Officiels 2013 - première partie : « Aperçu général sur le droit local cultuel alsacien-mosellan »

[3« Le caractère transitoire du maintien du droit alsacien-mosellan ne fait pas obstacle à ce que le législateur puisse adapter les règles de droit local. Toutefois, il ne peut en résulter ni un accroissement du champ d’application des différences ni une augmentation de celles-ci. » [Décision n°2011-157 QPC du 5 août 2011 -Société SOMODIA – Extrait du commentaire officiel

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