«On ne fait pas d’élection avec des prières »Proverbe québécois

 

Guerre de la "Sainte Russie" en Ukraine

« Il fait froid, laissez-les tranquilles » l’oraison funèbre des militaires russes aux morts des rues de Bucha

Le nombre exact de civils tués par l’armée russe à Bucha n’est pas encore connu, car les listes de noms n’ont pas encore été compilées. Selon des données préliminaires, le nombre de morts s’élève à plus de 300. Depuis deux jours, les employés du service funéraire local collectent les morts. Nous ne publions aucune photo, pourtant nombreuses et déjà largement diffusées, par respect pour les défunts et le genre humain en général qui n’est pas condamné à semer la barbarie. Car il semble qu’il s’agit bien de cela ici. Radio Liberty a pu déterminer, à partir de sources publiques, quelles unités militaires russes se trouvaient à Bucha au début et à la fin de l’occupation de la ville. Parmi elles figurent des parachutistes d’unités « notoirement connues » pour leurs opérations de nettoyage en Tchétchénie, mais aussi des OMON [1] de Kemerovo, des « Kadyrovites », ainsi que des Marines de Vladivostok et des fusiliers motorisés de Khabarovsk.

Que s’est-il passé dans les rues de Bucha ?

Pourquoi tant de cadavres dans les rues ? Sergei Kaplychny, chef du service funéraire de la ville de Bucha, a déclaré dimanche aux journalistes qui ont pu pénétré dans la ville libérée que les troupes russes n’avaient pas autorisé la collecte des corps des personnes tuées dans les rues avant la libération de la ville. « Ils ne l’ont pas permis. Ils ont dit : ’’Il fait froid, laissez-les rester allongés un peu plus longtemps’’. Nous leur avons expliqué que trois de leurs soldats étaient également couchés là et qu’il fallait les emmener, là ils l’ont permis. Les corps étaient couchés dans la morgue, les réfrigérateurs ne fonctionnaient pas. C’était horrible là-bas ». En effet, après la prise de contrôle de la ville par les militaires russes, l’électricité et l’approvisionnement en eau ont été coupés.
Parmi les 30 corps collectés le 3 avril à Bucha dans la ruelle Yablunska, selon Kaplychny, il y avait deux soldats des forces armées ukrainiennes - nés en 1995 et un vétéran combattant dans le Donbass qui a été abattu parce qu’il jetait des cocktails Molotov. M. Kaplychny a également indiqué que parmi les autres personnes mortes trouvées par les employés des services funéraires à Bucha le 3 avril figuraient des personnes aux mains attachées et blessées par balle à l’arrière de la tête.
Un habitant de Bucha a expliqué à Levko Stek, un journaliste ukrainien de Radio Liberty que les morts dans l’une des rues de la ville avaient été tués par un sniper, et que leurs corps n’avaient apparemment pas été enlevés. Selon cet homme, le sniper a tiré sur tous ceux qui apparaissaient dans la rue. Les habitants ont déclaré au journaliste que les tirs les plus fréquents ont été entendus au cours des cinq derniers jours avant la libération de la ville. Ils ont montré les tombes des morts, qui devaient être enterrés directement dans la rue. Mais selon le maire Anatoliy Fedoruk, parmi les 300 habitants de Bucha déjà été enterrés dans une fosse commune, certains sont morts de causes naturelles, de faim et de froid, ou de tirs de mortier et d’artillerie.
Dans un autre reportage effectué par des journalistes de Reuters qui se sont rendus à Bucha immédiatement après le départ des militaires russes de la ville, une femme a expliqué qu’elle portait un brassard blanc, le même que les militaires russes étaient obligés de porter. Selon elle, les militaires ont tiré non seulement sur les fenêtres des maisons, mais aussi sur elle. Sur les photographies, des brassards blancs sont en effet visibles sur les manches de certains des civils tués à Bucha et ont servi à leur lier les mains dans le dos.
Le 3 avril, le rapport de Human Rights Watch intitulé « Ukraine : apparent war crimes in Russian-controlled territories » fait état des preuves recueillies au début du conflit par des militants des droits de l’homme. Le texte livre le témoignage d’un habitant de Bucha, qui a quitté la ville le 9 mars et a parlé des actions des soldats de l’armée russe au cours des premières semaines qui ont suivi l’occupation de la ville. Les civils, dit-elle, ont été contraints par la force, de sortir des caves où ils se protégeaient des tirs d’artillerie et de se rassembler dans la rue. « A un moment, ils ont amené un jeune homme, puis quatre autres », raconte cette habitante de Bucha, « Les soldats leur ont ordonné d’enlever leurs bottes et leurs vestes. Ils les ont fait s’agenouiller sur le bord de la route... L’un d’eux a reçu une balle à l’arrière de la tête. Il est tombé. Les femmes ont crié. Les quatre autres se sont agenouillés. Le commandant leur a dit : Ne vous inquiétez pas. Vous êtes tous normaux et ceci est de la merde. Nous sommes ici pour nettoyer la saleté qui vous entoure ». Lorsqu’elle a évacué la ville le 9 mars, elle indique le corps du jeune homme gisait encore dans la rue.
Les habitants ont été contraints d’enterrer les personnes tuées par l’armée russe non seulement à Bucha, mais aussi dans les autres villes proches de Kiev sous contrôle russe. Dans le village de Motyzhyn, près de la ville de Makarov, à l’ouest de la capitale ukrainienne, les corps de la maire de la ville, Olga Suchenko et de son mari ont été retrouvés après le retrait de l’armée russe. Igor et Olga Sukhenko ont été capturés à la mi-mars et on ne savait rien de leur sort pendant tout ce temps. Ce n’est pas le premier meurtre de maires ukrainiens sous contrôle russe. Le 7 mars, le meurtre du maire de Gostomel, Yuriy Prilipko, est connu. Selon les autorités de Gostomel, il a été abattu alors qu’il livrait des médicaments et de la nourriture aux habitants de la région. Le meurtre de fonctionnaires locaux rappelle ce qui s’est passé en 2014 dans le Donbass. Après l’occupation de Sloviansk et de Kramatorsk, Volodymyr Rybak, conseiller municipal de Horlivka, a disparu (il avait tenté de retirer le drapeau de la République autoproclamée du bâtiment administratif pour le remplacer par le drapeau ukrainien). Son corps a été retrouvé avec des signes de torture après que l’Ukraine ait repris le contrôle de cette partie du Donbass.

Les unités militaires russes présentes à Bucha

De sources publiques, plusieurs unités de l’armée russe stationnaient à Bucha pendant l’occupation par les troupes russes. Radio Liberty a identifié certaines d’entre elles mais la liste la plus complète des unités militaires russes présentes à Bucha a été publiée dimanche par Oleksiy Arestovych, un conseiller du chef de l’administration de Vladimir Zelensky. En tête de liste, on trouve la 64e brigade indépendante de fusiliers motorisés habituellement stationnée dans le village de Knyaz-Volkonskoye, dans la région de Khabarovsk. Plusieurs sources confirment indirectement que des militaires de cette brigade se trouvaient à Bucha. Le 3 avril, la chaîne de télégrammes ukrainienne Operative ZSU a publié une capture d’écran du téléphone de l’un des militaires russes avec la légende « le téléphone de l’un des occupants de Bucha a été retrouvé ». La capture d’écran montre un compte Instagram avec un numéro de téléphone, à partir duquel Radio Liberty a réussi à identifier le propriétaire du compte. Il s’agissait d’un habitant de Khabarovsk de 29 ans, Yevgeny Taran. Personne ne sait aujourd’hui s’il est vivant ou mort, mais parmi ses amis, il y a effectivement des militaires de la 64e brigade : par exemple, Yevgeny Smirnov, résident de Khabarovsk. Le compte de Smirnov contient également des photos où il apparait en uniforme militaire avec le géo-tag « village de Knyaze-Volkonskoe », où sa brigade est stationnée. Parmi les amis d’Evgeny Taran (sur une photo capturée dans son compte Instagram), il y a aussi des fans de symboles nazis que les militaires russes, qui « nettoient » les villes ukrainiennes capturées, baignant dans la propagande du président russe, recherchent avec zèle auprès des habitants.
Par ailleurs, comme on peut le constater à partir de sources ouvertes, les parachutistes de Pskov appartenant à la 76e division d’assaut aéroportée de La Garde russe (Rosgvardia) ont également été stationnés à Bucha pendant une longue période. Connue pour sa participation aux première et deuxième guerres de Tchétchénie, au cours desquelles elle a notamment mené des « opérations de nettoyage » notoires, telles que le « nettoyage » de Goudermes, cette division aurait opéré de la même façon à Bucha. Le 26 mars, Vladimir Zolkin, journaliste ukrainien et créateur de la chaîne Telegram Seek Your Own, a publié la vidéo d’une conversation avec Timoffey Bobov, un soldat russe de la 76e division aéroportée, qui avait été fait prisonnier. Bobov y décrit en particulier, comment lui et ses camarades ont été jetés en Ukraine le 24 février et envoyés pour « nettoyer Gostomel ou Bucha ». Là, selon Bobov, il a reçu pour instruction de s’introduire dans les appartements d’un immeuble à plusieurs étages avec un pied de biche et d’emmener les personnes qui s’y trouvaient au sous-sol. Ses affirmations sont corroborées par des photographies des effractions, qui ont été publiées par des journalistes britanniques. Une autre confirmation de la présence de militaires de la 76e division à Bucha fait référence au 11 mars : ce jour-là, Gennady Baïur, commandant de la batterie d’artillerie automotrice du 234e régiment d’assaut aéroporté de la 76e division aéroportée, a été tué dans la ville.
La police antiémeute russe OMON est également devenue célèbre pour son mépris des lois de la guerre pendant les guerres de Tchétchénie - le massacre de civils dans la banlieue de Grozny, à Novïe Aldy, le 5 février 2000, en est un exemple. La présence de troupes de l’OMON et de Rosgvardia a également été documentée lorsqu’elles ont tenté de marcher de Gostomel vers Kiev via Bucha et Irpine dans les premiers jours de la guerre russo-ukrainienne. Fin février, Radio Liberty a été contactée par une connaissance de l’un des officiers OMON de Novokuznetsk tués en Ukraine, qui a demandé une copie d’une vidéo montrant les conséquences de l’attaque d’un convoi russe sur un pont enjambant la rivière Irpine sur la route de Kiev. L’homme, qui a confirmé que la police anti-émeute de la région de Kemerovo avait été envoyée en Ukraine, voulait voir la vidéo non floutée des corps des morts pour essayer de trouver son ami parmi eux.
L’équipe chargée du renseignement sur les conflits rappelle que des unités de la 98e division aéroportée de Kostroma sont également arrivées avant l’invasion sur le territoire de la Biélorussie, et qu’outre les unités OMON et Rosgvardia, des « Kadyrovites » ont été vus dans la région de Kiev sur le territoire de Gostomel, voisin de Bucha. Le service biélorusse de Radio Liberty pense que des parachutistes du 331e régiment d’assaut parachutiste de la Garde, qui fait partie de la 98e division, pourraient également opérer à Bucha. Les parachutistes de la division avaient également pris part aux longs et âpres combats pour Grozny en décembre-mars 1994-1995.
Par ailleurs, les tristement célèbres « tankistes bouriates » de la guerre de 2014 dans le Donbass ont également visité Bucha. Ainsi, le caporal Pavel Lukyanov, mécanicien-chauffeur de la 5e brigade de chars Tatsin de la Garde séparée d’Oulan-Oude, est mort à Bucha le 13 mars - comme l’indique la liste des victimes militaires de Bouriatie et de la région d’Irkoutsk sur le site web « Peuple de Baïkal ». L’un des témoins directs de ces exécutions a également déclaré à la chaîne de télévision Belsat que les habitants de Bucha se faisaient tirer dessus par des personnes « ayant un accent bouriate ».
Près d’un mois s’est écoulé entre le début de l’occupation de Bucha et sa fin, de sorte que le simple fait de la présence d’une unité particulière dans cette ville ne peut être considérée comme une preuve de participation à des crimes de guerre ou de dissimulation de ceux-ci. Néanmoins, il convient de mentionner une autre unité de parachutistes qui a pris part aux combats pour Bucha. Le 28 mars, la chaîne Telegram « Cherches-toi » (Ищи своих) a publié les listes des soldats de la « 2e escouade du 2e peloton » qui sont morts à Bucha. La plupart d’entre eux, comme il ressort du document, sont des résidents de la région de Volgograd. Radio Liberty a trouvé le profil de l’un des morts, Daniil Yevdokov, sur le réseau social VKontakte - son avatar montre l’image d’un parachutiste, le slogan aéroporté « Personne d’autre que nous » (’’Никто, кроме нас’’) et l’abréviation ’ДШБ’ (bataillon d’Assaut Aéroporté). Radio Liberty suggère que M. Yevdokov et ses camarades décédés auraient servi dans le 56e régiment d’assaut aéroporté de la Rosgvardya, qui était stationné dans la ville de Kamyshin, dans la région de Volgograd, et qui a été redéployé en décembre à Feodosiya, en Crimée annexée par la Russie.
Enfin, parmi les unités qui étaient présentes à Bucha dans les derniers jours de l’occupation, les troupes marines russes peuvent très probablement être impliquées dans le meurtre de civils. Le 1er avril, la chaîne de télévision Zvezda du ministère russe de la Défense a publié un article citant le « commandant de l’unité des marines, Aleksey Shabulin », qui déclarait que les marines russes menaient des « opérations de rattrapage » dans la direction Gostomel-Bucha-Ozera. Radio Liberty n’a pas été en mesure de déterminer l’unité militaire dans laquelle sert Shabulin, mais auparavant, les médias d’Extrême-Orient ont rapporté la mort d’un soldat de la 155e brigade séparée des marines stationnée à Vladivostok, près de Kiev. Dans son enquête, Radio Liberty a parlé de militaires de cette brigade qui se rendaient « à des exercices en Biélorussie » en janvier, plus d’un mois avant le début de la guerre...

Les dénégations officielles de la Russie

Le ministère russe de la Défense a qualifié de faux les nombreuses photos et preuves vidéo recueillies à Bucha ces derniers jours. Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a qualifié les photos et les vidéos de Bucha de « mises en scène par des représentants ukrainiens et leurs mécènes occidentaux ». Le secrétaire de presse du président russe, Dmitriy Peskov, a déclaré que le ministère de la Défense avait « détecté des signes d’usurpation de vidéos et de faux d’une sorte ou d’une autre » dans les documents provenant de Bucha et a également noté que « la factologie et la séquence calendaire des événements ne plaident pas en faveur des allégations » de massacre de civils par l’armée russe.
Les corps des civils morts jonchant les rues et les autoroutes des territoires contrôlés par l’armée russe a été largement documenté avant les macabres découvertes de Bucha. Dans un reportage de la BBC daté du 1er avril, le correspondant de la publication, Jeremy Bowen, a publié une vidéo décomptant 13 corps de morts sur un tronçon de route entre Kiev et Zhytomyr, près de Bucha. Le rapport montre un camp militaire russe près de l’autoroute, et fournit des preuves de tirs sur des civils. M. Bowen a visité la zone peu après que l’armée ukrainienne ait repris le contrôle du territoire. Des journalistes tchèques avaient déjà signalé dans un reportage à Irpine le 11 mars que les corps des victimes des combats pouvaient être trouvés dans les rues des villes de la région de Kiev. L’apparition d’un charnier dans le centre de Bucha a été connue bien avant que les militaires russes ne quittent la ville. Le 12 mars, le directeur du centre municipal de soins de santé primaires d’Irpin, Andriy Levkovskyy, en a rendu compte et a publié une vidéo des premiers enterrements. Le 2 avril, le maire de Bucha a déclaré à L’Agence France Presse que 280 personnes avaient déjà été enterrées dans des fosses communes de la ville.
Mais de son côté, la partie russe souligne que ses troupes ont quitté Bucha le 30 mars, alors que le 31 mars, les autorités ukrainiennes ont déclaré que la ville avait été libérée par l’armée ukrainienne, sans mentionner de victimes dans les rues. Toutefois, la déclaration susmentionnée du ministère russe de la Défense, selon laquelle « les marines russes nettoient les colonies de la région de Kiev », a été publiée le 1er avril. Si de nombreuses photographies des morts laissés dans les rues n’ont commencé à être publiées dans les médias que le dimanche 3 avril, quelques journalistes avaient déjà fait état, avant cette date, de civils tués gisant dans les rues de Bucha.

Sources : Reuters, AP, Radio Liberty, Kavkaz Realii,...

[1Une OMON est une unité de combat russe pour la protection et le rétablissement de l’ordre de l’Etat et la paix publique. Elle sert également de réserve pour la formation de milices dans les zones libérées du pouvoir russe pour former des policiers expérimentés. Il y a 208 unités OMON en Russie.

Evénement
Solidaires !

L’invasion de l’Ukraine par la Russie ne doit laisser personne indifférent !!! Outre les condamnations, il faut agir pour redonner et garantir son intégrité territoriale à l’Ukraine afin d’empêcher tout autre pays de suivre l’exemple terrible de cette invasion par la force.

Informations
Opinion
Nos micro-trottoirs

«Quels signes ostensibles ?»

Découvrir

Tout savoir sur Croyances et Villes.

Découvrir


Une publication EXEGESE SAS, 14 rue du Cloître Notre-Dame 75004 Paris. N° SPEL 0926 Z 94013