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- Publié le 8 mars 2022
- Mise à jour: 11 mars 2022
Moscou : à la veille du 8 mars, arrestations et détentions violentes de militantes anti-guerre
Dimanche 6 mars, des actions contre l’invasion de l’Ukraine par la Russie (ce que les journaux et les journalistes russes ne peuvent nommer sans la menace de poursuites pénales contre les journalistes et de fermeture des médias) ont eu lieu dans 65 villes russes. Selon OVD-Info*, plus de 5 000 personnes ont été détenues à travers le pays (plus de 3 300 selon le ministère de l’Intérieur). La veille, Alexandra Kaluzhskikh, Moscovite de 26 ans, a donné son autorisation pour diffuser un enregistrement audio sur ce qui se passe au poste de police de Brateevo. Mais, il ne s’agit pas d’un cas isolé de pression sur des manifestants et des passants. "Novaya Gazeta a parlé aux jeunes femmes détenues lors des manifestations.
Ksenia
Ksenia a demandé à publier son monologue de manière anonyme (son nom complet est uniquement connu de l’équipe de rédaction du media russe). Elle est en quatrième - et dernière - année d’université en tant que philologue.
"Je m’appelle Ksenia, j’ai 21 ans. Je vis à Moscou maintenant, je suis venu d’une autre région pour étudier dans la capitale. Hier soir, vers cinq heures, mon ami et moi passions devant le Magasin "Monde des enfants" pour retrouver un autre ami et faire une promenade dans le centre. À ce moment-là, un agent des forces de l’ordre s’est approché de moi et a demandé à voir mes documents. Puis il a exigé de déverrouiller mon téléphone et de me montrer les dernières photos. C’était d’une manière si grossière.
Je ne connais pas son nom. Il ne s’est pas présenté, il n’a rien expliqué. Dans mon téléphone, il a vu une correspondance avec cet ami que nous devions retrouver. Ensuite ils m’ont emmené au bus. On m’a d’abord demandé de montrer tout ce qu’il y avait dans mon sac et d’expliquer quel type de pilules s’y trouvait (des hormones que je prends tous les jours). Ils ont tout regardé puis nous ont envoyé dans un fourgon, où nous sommes restés assis pendant près de trois heures près du poste de police. À huit heures moins vingt, ils m’ont fait sortir du fourgon - j’ai été l’une des premières. On peut dire que j’ai eu de la chance. Ils m’ont emmené au poste de police du complexe olympique de Luzhniki du département des affaires intérieures du district administratif central du ministère de l’Intérieur de Russie à Moscou.
Au poste de police, ils ont pris mon téléphone à l’entrée, m’ont demandé de l’éteindre et de le mettre dans un sac. Puis ils m’ont emmené dans une salle pour m’interroger. Auparavant ils ont voulu prendre mes empreintes digitales et des photos. Je leur ai dit qu’il n’y avait pas besoin de détention administrative [prise d’empreintes], puisque j’avais donné mon passeport (ils avaient pris tous nos passeports pendant que nous étions dans le camion). il m’ont répondu que la prise d’empreintes digitales était nécessaire pour identifier un individu et ont commencé à faire pression sur moi et à dire que je résistais, qu’une "telle procédure" était "juste", que "j’étais de mauvaise foi". J’ai répété qu’ils n’avaient pas le droit de faire ça. Mais j’avais peur qu’ils nous gardent longtemps avec mon petit ami, qui avait lui aussi refusé. J’ai finalement accepté pour pouvoir sortir. On m’a alors envoyé écrire ma déposition.
Au bureau du poste de police, ils ont commencé à me menacer. Le policier qui m’a menacé était le lieutenant de police principal .....(son nom est connu de la rédaction). Il a crié et a dit que les gens comme nous devraient être battus, qu’il aimerait que nous soyons traités comme au Belarus, que les gens comme nous ne méritent pas de vivre dans ce pays, que personne n’a besoin de nous dans ce pays, que nous sommes une honte pour notre pays. Que s’il avait pu, il nous aurait tiré dessus, il n’arrêtait pas de s’exclamer "c’est dommage que nous ne puissions pas tirer". Il continuait de crier puis s’est planté là, assis à me regarder. Il disait qu’il était très en colère parce qu’il perdait beaucoup de temps à cause de moi. Il s’est assis en face de moi, cassant mon stylo pour me montrer à quel point il était en colère.
Puis il m’a demandé mon nom de famille, mon immatriculation, où je vivais. Je n’ai pas donné mon adresse réelle et j’ai écrit une déposition selon laquelle, conformément à l’article 51 de la Constitution, j’avais le droit de ne pas témoigner contre moi-même. Puis ils m’ont demandé pourquoi j’étais là, si je voulais répondre à ces questions. J’ai invoqué à nouveau l’article 51 de la Constitution. C’est tout.
Une femme qui parlait plus calmement a finalement demandé à ce que je sois libérée. A la sortie, ils ont encore appelé pour demander si je pouvais être libérée. J’ai quitté le département à 9 heures. L’infraction inscrite sur le procès verbal est rédigée comme suit : Article administratif, partie 5, article 20.2 du Code des infractions administratives.
Aucune date d’audience n’a été fixée.
**"Vauriens, vous valez un kopeck !"
Nastya, 18 ans (nom de famille connu de la rédaction de Novaya), a passé la nuit dernière au tristement célèbre poste de police de Brateevo.
"J’ai été de ceux qui ne se sont pas fait tabasser pour la simple raison que j’étais dans la vague des premières vagues arrestations. Nous avons été détenus dans la rue Kalanchevskaya, alors que nous n’avions pas de pancartes, rien. Au final, ils ont mis 29 personnes dans un seul camion. C’était très étouffant. Nos passeports nous ont été retirés. Alors qu’ils nous emmenaient au poste de police, personne n’a voulu répondre à nos questions et tout ce que nous avons eu que des injures en guise de réponse.
Il y avait beaucoup de jurons et beaucoup d’humiliation. Les policiers ont demandé aux garçons quel était leur sexe en raison de leurs cheveux longs.
Ils ont commencé à nous crier dessus et à faire pression lorsque nous avons refusé d’être photographiés dans la salle spéciale du ministère parce que c’était illégal. Ensuite ils ont essayé de prendre nos empreintes digitales, ce qui est également illégal. Après tout cela, ils nous ont emmenés faire nos dépositions que nous nous avons signé quasiment sans les relire pour pouvoir partir. "Pourquoi lirais-tu tout ça ?" m’a-t-il demandé. "Vous ne comprenez rien, vous êtes stupides, vous êtes des salopes, des bêtes. Vous valez pas plus d’un Kopeck, bâtards !" - a-t-il a juré. "Ils m’ont traitée de pute, de prostituée, ont menacé de me mettre avec les sans-abri."
"Je ne parle pas d’abus moral, ça n’existe pas dans un commissariat de police. Mais ici... c’était très effrayant", raconte Kristina (nom de famille gardé secret par la rédaction), qui s’est retrouvée dans le même centre de détention que Nastya.
- Le commissariat de Brateevo
Dès que vous entrez dans la pièce, vous pouvez voir immédiatement à leurs visages et à leur humeur que quelque chose va vous être fait. Lorsque j’ai fait référence à l’article 51 et refusé de divulguer mes données personnelles, les policiers m’ont immédiatement versé un litre d’eau, en plein visage. Ils m’ont traitée de pute, de prostituée, ont menacé de me mettre avec les sans-abri, qui... enfin, vous savez. Une ou deux fois, ils m’ont frappé. Il y avait des menaces : vous ne sortirez pas d’ici ! Ils ne nous ont parlé que par des menaces.
"Il m’a insulté, m’a maudit et a commencé à me frapper sur l’épaule, trois fois, puis avec son genou, il m’a menacé, a dit qu’il allait *** [me frapper au visage] si je ne me donnais pas le téléphone".
Une autre détenue, Yevgeniya (nom de famille gardé secret par la rédaction), a aussi vu son téléphone vérifié par les policiers de Brateevo.
"Je suis entré dans le bureau, les agents n’étaient pas en uniforme, ne se sont pas présentés" raconte-t-elle. "Aucun badge n’était visible. L’un d’eux a commencé à jurer tout de suite : Quoi, tu vas *** [frimer] aussi, ou on va avoir une conversation normale ? Je leur ai dit que tout était dans mon passeport. Ils ont alors commencé à crier : Ne mentez pas, vous n’êtes pas enregistrée là-bas, vous avez été radiée. Ils voulaient mon adresse réelle, et ont commencé à jurer et à m’insulter. Puis ils m’ont demandé mon téléphone et, prétextant qu’il pouvait être volé, ont exigé une pièce d’identité et mes cinq derniers contacts. J’ai refusé.Un homme d’apparence orientale habillé de noir est alors arrivé et a commencé à jouer le méchant policier. Il m’a à nouveau insulté, a juré et a commencé à me frapper sur l’épaule, trois fois, puis avec son genou, il m’a menacé, a dit qu’il me *** [frapperait au visage] si je ne me donnais pas le téléphone.
Après m’avoir plaqué contre le mur pour prendre une photo, ils ont recommencé à parler du téléphone, et l’homme en noir a commencé à me tordre les bras et à me maintenir au sol, en disant à l’autre homme de sortir le téléphone de la poche de mon pantalon. Je n’ai pas eu de bleus ni rien de tel, malheureusement ou heureusement, mais c’était horrible. J’espère qu’ils seront punis.
"Je m’appelle Anna Simonyan, j’ai 19 ans. Nous avons été arrêtés à 15 h 30. Nous étions 29 dans le camion et nous étions presque les uns sur les autres. Nous sommes arrivés au poste de police de Brateevo vers 16 h 40. Les policiers ne se sont pas présentés, aucun badge n’était visible. Puis ils ont commencé à nous laisser sortir, ils ont pris nos passeports avant de nus emmener dans la salle de réunion.
Nous formions comme une file d’attente pour cette "salle de torture". Dans la pièce, il y avait deux femmes assises, un homme sans uniforme et un autre homme. Il portait un pull et un pantalon noirs et une arme dans un holster. Il sortait et entrait fréquemment dans la pièce, en criant et en jurant abondamment.
Il m’appelle. J’entre dans un tout petit bureau. Il y a une armoire à droite et une chaise. La chaise est couverte d’eau. Tout est mouillé. J’avance, j’hésite. Il me dit que ce n’est pas moi, "ce sont les personnes avant toi qui se sont pissées dessus".
Je m’assieds sur la chaise. La fille demande :
"Quel est votre numéro de téléphone ?" Je dis : "Article 51 de la Constitution." Il se lève, s’approche et commence à me verser de l’eau dessus. Au même moment, un homme me dit que nous sommes des bêtes, que nous le méritons tous, et qu’ils vont prendre la virginité de tout le monde, " racaille ", " salope ", " pute "... Ils me menacent ouvertement de viol.
Une des deux femmes présentes me demande à nouveau mon numéro de téléphone. Je dis : "Article 51 de la Constitution." Il me prend par les cheveux, me tire la tête en arrière et me verse de l’eau sur le visage. Je commence à m’étouffer. Je mets ma tête en arrière. Il retire la chaise et m’ordonne de me lever. La femme recommence à me questionner : "Où habitez-vous ?" Je dis : "Article 51 de la Constitution." L’homme me gifle le visage. Une forte gifle. Il me dit : "Tu vas te taire ?" J’ai dit : "Oui." Il me frappe dans l’estomac avec son genou. Je me suis recroquevillée, appuyée sur la table. Cet unique coup sur la joue a été un gros choc. Je m’attendais à l’eau, mais je ne pensais pas que je serais giflée.
Yekaterina (nom de famille connu des rédacteurs), qui se trouvait également au poste de police de Brateevo, nous raconte.} "Les gens ont été conduits dans le bureau un par un, il y avait deux femmes policiers et, d’après mes souvenirs, deux ou trois policiers en uniforme. Quand je suis entrée, j’ai vois aussi un homme en civil avec un holster et une arme. Cet homme en civil ne se présente pas - il n’aime pas ma façon d’être assise. Mes jambes sont légèrement croisées et il les balaient d’un coup de pied. Il n’apprécie pas que ma main soit posée sur la table, il l’enlève violemment. Puis la policière assise devant l’ordinateur commence à me poser des questions sur mon éducation, mon lieu de travail et mes études. Je lui réponds : "Article 51 de la Constitution ", et immédiatement, un homme en civil me verse de l’eau - presque 2 litres sur la tête. Puis il me frappe au visage avec une bouteille vide - Aujourd’hui (7 mars), je suis allé au centre de traumatologie, on m’a diagnostiqué une contusion des tissus mous. Ensuite, les policiers ont essayé de me prendre en photo, mais j’ai couvert mon visage avec mes mains. Celui qui était en civil a attrapé mes cheveux et a essayé de me tenir par les cheveux. L’homme violent m’a également aspergé d’antiseptique au visage et menacé de me frapper la tête avec mon téléphone si je ne le déverrouillais pas.
Dmitry Muratov à Vladimir Kolokoltsev :
" Les détenus ont été soumis <...> à des humiliations et des contraintes physiques confinant à la torture. Je vous demande d’évaluer les actions de vos subordonnés".
Au ministre des Affaires intérieures de la Fédération de Russie Kolokoltsev V.A.
Cher M. Kolokoltsev !
"Novaya Gazeta" a appris le traitement inhumain des détenus lors d’événements de masse non autorisés à Moscou le 06 mars 2022. Il s’agit de la situation qui s’est déroulée tard dans la nuit au commissariat de Brateevo du département de police de Moscou. Un enregistrement audio des événements impliquant une citoyenne russe, Alexandra Kaluzhskikh, a été publié sur de nombreuses ressources Internet publiques, dont le site de Novaya Gazeta. Elle montre que la détenue a été soumise non seulement à une humiliation morale, mais aussi à une coercition physique brutale confinant à la torture.
Nous avons appris par la suite qu’il ne s’agissait pas d’un incident isolé. La rédaction a enregistré les témoignages de sept autres jeunes filles détenues, dont la plupart se trouvaient également au poste de police de Brateevo. Leurs noms sont connus de la rédaction.
Je vous demande de vérifier les rapports à ce sujet et de donner une évaluation procédurale des actions de vos subordonnés.
Membre du conseil public du ministère de l’intérieur,
Rédacteur en chef de Novaya Gazeta
Dmitry Muratov
(*) Inscrit par le Ministère de la Justice au registre des mouvements non enregistrés exerçant les fonctions d’agent étranger
Illustration : Arrestations à Moscou le 6 mars 2021 - photo : Vlad Dokchine - Novaya
Article de Novaya Gazeta, traduit par nos soins.
Solidaires !
L’invasion de l’Ukraine par la Russie ne doit laisser personne indifférent !!! Outre les condamnations, en 2024, il faut continuer d’agir pour redonner et garantir son intégrité territoriale à l’Ukraine afin d’empêcher tout autre pays de suivre l’exemple terrible de "l’opération spéciale" russe.
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