Du conflit entre « démocratie » et « totalitarisme » et de la nécessité de voter !

Quel pire et meilleur exemple du conflit entre « démocratie » et « totalitarisme » pouvait-on redouter que celui de la guerre en Ukraine. Quelle démonstration de barbarie et de régression des formes démocratiques ne pouvait-elle être mieux faite que celle de cette invasion russe de l’Ukraine, facilitée par les effets désagrégateurs de la mondialisation et surdéterminée par les effets de terreur et de contre-terreur que suscite une situation de guerre endémique à laquelle peu de régions du monde n’échappe entièrement désormais ?
Nous voilà replongés dans cet affrontement, cette confrontation entre deux modèles de société « démocratie » et « totalitarisme ». Ces deux types de régimes prétendent l’un et l’autre tirer leur légitimité du soutien et de la participation populaire, mais ils le font par des moyens distincts et avec des objectifs institutionnels opposés. En d’autres termes, nous avons affaire ici à une vacillation interne de l’idée de peuple qui, suivant les circonstances et la façon dont les citoyens y réagissent, nous range d’un côté ou de l’autre, construit une bifurcation qui mène les pouvoirs à choisir entre les pratiques démocratiques et les pratiques totalitaires.
C’est le coeur du dilemme qui peut entraîner la mort de la démocratie ou sa renaissance. Ou bien le « peuple » est un mythe, auquel les citoyens peuvent croire et s’attacher passionnément, mais qui repose sur la représentation d’une unité et même d’une indivisibilité absolue, ce qui peut aussi entraîner l’exclusion violente de la différence, l’élimination de la contestation et l’effacement de l’altérité interne – c’est l’exemple actuel de la Russie et de son « monde russe », ou bien c’est la construction pratique d’un pouvoir collectif capable d’affronter les défis et les dangers de l’histoire en se fondant sur l’intelligence de ses propres conflits d’intérêts et des identités multiples qui le constituent, donc sur un pluralisme intrinsèque – c’est l’exemple de l’Ukraine et de l’unité des nations occidentales et européennes.
Le pari de la démocratie ne consiste donc pas à nier qu’il faille un peuple de citoyens actifs pour conférer au gouvernement sa légitimité. Il n’est pas attaché au rêve de construire des barrières derrière lesquelles le peuple est bien gardé, mais au contraire il doit s’attacher à déconstruire l’unité mythique et à la remplacer par une collectivité délibérative, une capacité de métamorphoser les exclusions en réciprocité.
Et paradoxalement il s’assimile à ce que l’on a appelé naguère un démocratisme radical impliquant l’activité des « masses » ou de la « multitude ». Or, le moyen le plus puissant d’une telle invention politique (qui n’est pourtant, nous le savons d’expérience, qu’une garantie fragile ... ), c’est la liberté de parole pour les citoyens, qui forme elle-même l’aspect subjectif de la liberté d’expression constitutionnelle : un « droit » qui dans l’histoire est toujours allé de pair avec les processus de démocratisation de l’État sous toutes ses formes, mais qui a finalement acquis une fonction différente de celle des autres droits fondamentaux, celle d’élire des représentants, celle du vote. Le vote n’est ni plus ni moins que la racine de notre liberté d’expression institutionnellement garantie, et la libre parole qui en forme la contrepartie subjective, et qui constituent une « propriété » inaliénable des individus et une garantie absolu de paix. Alors, allez voter dimanche !