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  • Publié le 24 octobre 2022

Guerre et Monde : à Rome le soft-power des religions à l’épreuve de la paix avec Emmanuel Macron

En déplacement en Italie, Emmanuel Macron a prononcé dimanche 23 octobre 2022 un discours pour la paix, sur fond de guerre en Ukraine et de montée des violences en Europe.
Invité à s’exprimer dans le cadre de la conférence internationale « Le Cri pour la Paix » organisée en Italie par la communauté catholique de Sant’Egidio, le chef de l’État le chef de l’État français qui a le sens des réalités et aussi celui des défis s’est d’abord interrogé dans une forme d’acte de contrition dont il a le secret et la maitrise, sur sa légitimité en tant que chef d’un État laïc à aborder le sujet du rôle des religions dans la guerre et pour la paix.

Réaliste, le président de la République a estimé ensuite que « rien ne justifie », que « rien n’explique » le conflit russo-ukrainien, qu’il a présenté comme une guerre mettant aux prises « un peuple attaqué » et un agresseur qui chercherait à « humilier » un autre peuple.
Dans cette situation, « on ne peut pas rester neutre », a estimé Emmanuel Macron. « Ce serait acter un ordre international où la loi du plus fort serait la loi générale ». Puis évoquant le traité du philosophe Allemand Emmanuel Kant « Vers la paix perpétuelle » qu’il offrirait aujourd’hui lundi au Pape, le chef de l’État a parlé de paix possible. « Une paix sera possible quand l’Ukraine le décidera », a-t-il expliqué. « La paix se bâtira avec l’ennemi d’aujourd’hui autour d’une table ».
Il a toutefois indiqué que « la paix ne saurait être un cessez-le-feu qui entérinerait un état de fait. Ne laissons pas la paix être aujourd’hui en quelque sorte capturée par le pouvoir russe » a-t-il asséné.
Sans critiquer directement l’Église orthodoxe russe le président a estimé que « dans la guerre que mène la Russie à l’Ukraine la religion orthodoxe est instrumentalisée » et que les religions ne devaient jamais « soutenir des projets politiques » tendant à « nier la dignité des individus ».
Il a poursuivi sa prise de parole en plaidant pour l’universalisme et en indiquant que face à la montée de des peurs et des périls, « les ferments de la guerre » qui se diffusent en Europe, notamment « le nationalisme fermé » et « les rêves de pureté », les religions avaient « un devoir de résistance ». « J’arrive devant vous inquiet », a-t-il enfin lancé en pointant nos sociétés soumises au « retour des colères et des grandes peurs » et « doutant des vérités » qui permettent de bâtir un avenir commun, un avenir de paix.

Dans Vers la paix perpétuelle, ce court traité publié une première fois en 1795, que le président a offert aujourd’hui au pape François, Emmanuel Kant défend l’idée que la paix est une idée nécessaire, qu’il s’agit de mettre en place, par des dispositions juridiques qu’il explique. Pour le philosophe Allemand, la construction progressive de la paix perpétuelle requiert que la constitution civique de chaque Etat doit être républicaine ; que le droit des gens doit être fondé sur un fédéralisme d’Ètats libres (idéalement notre Europe) et que le droit cosmopolitique doit se restreindre aux conditions de l’hospitalité universelle. Kant refuse d’emblée l’idée d’un État mondial car il gommerait les différences inhérentes aux cultures et nierait le concept de souveraineté. L’idée d’un seul peuple est absurde. Seule une association, une fédération est envisageable.
Selon Kant, cette idée de paix perpétuelle doit donc être au fondement de la constitution civile de chaque État, qui doit déjà dans ce sens être républicain pour rendre possible l’association des Etats. L’idée de paix de chez Emmanuel Kant est ainsi celle d’un idéal régulateur, vers laquelle il faut tendre. Elle se construit et ne se décrète pas. La guerre devient ainsi un sujet de veto moral et la paix, un impératif de la raison politique, un devoir politique, avant d’être religieux. La lecture d’Emmanuel Macron du Traité de Kant est donc juste quand il affirme que les religions ne devaient jamais « soutenir des projets politiques » tendant à « nier la dignité des individus ».

Le pape en appréciera surement aussi la lecture. Mais dommage que le Président ne lui a pas aussi offert Qu’est-ce que les lumières ? Dans ce texte très court publié en 1784, Emmanuel Kant, considérant que les hommes doivent sortir de leur minorité, c’est à dire « du manque de décision et de courage à se servir de leur entendement sans la direction d’un autre », y dévoile le chemin qui mène aux Lumières, l’accès aux Lumières (sens littéral de Aufklärung), l’accès à la liberté de penser par soi-même par l’usage public de la raison. Le propos de Kant affirme que seul des hommes libres, capables de penser par eux-mêmes, peuvent vivre dans un État républicain et non despotique. Et cette libération, parce qu’elle fait d’eux des hommes capables d’user de raison, ne met pas en péril l’État et la religion. N’en déplaise toujours et encore à nombre de politiciens et de prêtres, la libération des hommes par l’usage public de la raison ne met pas en danger l’ordre politique extérieur, ni la moralité intérieure et l’usage privé de la raison qui sied à la morale civique et religieuse.

Dans la guerre que mène la Russie à l’Ukraine et au monde occidental et à ses valeurs, aux Lumières, la religion orthodoxe n’est pas instrumentalisée comme nous dit le président. En Russie la religion orthodoxe instrumentalise le peuple. Paradoxalement, depuis les années 2000 elle est redevenue progressivement et à bon escient cet « opium du peuple » cher à Karl Marx et aux fondateurs et dirigeant de l’URSS.
Au fur et à mesure que le régime de Vladimir Poutine a retiré à la majorité des Russes toute chance de penser par eux-même, d’avoir un accès à l’usage public de la raison, à la liberté, la religion orthodoxe russe s’est imposée comme un cadre culturel et un ordre social et moral, un refuge fait de quiétude et de paix qui donne à ses fidèles et au peuple un sentiment de puissance. Le patriarcat de Moscou est pour le Kremlin un soft-power extérieur mais aussi et avant tout intérieur une garantie de paix intérieure.
« La paix n’est pas pure » a conclu Emmanuel Macron sous les applaudissement de son auditoire de laïcs catholiques et de représentant de toutes les religions réunis à Rome. C’est juste.
La tentation du soft-power religieux n’est pas que russe orthodoxe...

Olivier Konarzewski

Note de l’Auteur : « Guerre et Monde » est la traduction littérale russe du « Guerre et Paix » français de Tolstoï dont le titre s’écrit en russe « Война и мир »

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