À point nommé

La nature ne fait pas les hommes et les femmes du premier coup. Ce n’est que par degré que l’on devient un « honnête homme » accompli. Certains en sont au fleurs et passeront aux fruits de l’intelligence et de la raison. D’autres sont déjà parvenus au sommet de leurs qualités et il en faut beaucoup pour être un homme consommé. Il en va ainsi pour l’homme comme de la maturation du bon vin. Dans le fragile vase du corps, l’esprit va, se perfectionnant chaque jour. Le temps est grand médecin, vieux et expérimenté, lui seul peut guérir de la maladie de la jeunesse. À l’âge mûr, le goût s’élève, l’esprit se raffine, le jugement se tempère, le désir s’épure. L’homme est enfin un homme fait, une personne à point, agréé et recherché des honnêtes gens.
Mais cela n’a qu’un temps, comme toute chose ici-bas, c’est pourquoi il convient de mettre à profit l’entendement et la mémoire, le moral comme le physique, quand ils sont au meilleur et de savoir jouir des choses au bon moment, et encore plus des hommes entendus.
Aussi, il faut également savoir tirer sa révérence. Le malheur des gens fortunés, avoir des débuts très heureux et des issues des plus tragiques. La Fortune, chère à Machiavel, est aussi aimable pour ceux qui arrivent qu’elle est discourtoise pour ceux qui s’en vont. On s’envole jusqu’au faîte de la Fortune pour en être précipité jusqu’au plus bas. Destinée ordinaire dans tous les emplois, dans tous les états : lorsque l’on entre par la porte de la Satisfaction et du Bonheur, on sort par celle de l’impopularité et du malheur. Bien commencer est faveur de sort, mais bien finir est l’oeuvre d’une rare prudence ; tout l’art sera de conserver la faveur publique, au point que l’acclamation générale qui salua votre entrée se convertisse en regret universel de votre départ. Parmi les hommes, il n’en est guère qui aient échappé au revers de la fortune, exceptés cependant ceux qui quittent à temps, le jeu soit par effet du sort, soit par effort de leur sagesse.

Tout le savoir humain se réduit donc au talent de bien choisir, de décider son début comme sa fin. Mais qui n’a pas l’art de choisir, alors qu’il le cherche dans le conseil ou l’exemple d’autrui : pour réussir, il faut savoir, ou écouter qui sait.
Dans quelques jours, lors du vote des présidentielles, nous aurons toutes et tous le destin de la France entre nos mains, une France dont nous formons le corps, un être vivant qui n’échappe pas à la description ci-dessus, de la « bonne Fortune ». Il sera de notre devoir de choisir, choisir pour la survie de ses valeurs héroïques que sont la liberté, l’égalité, la fraternité, soutenue par un principe fondamental, la laïcité. Car si à quelques « héros », le Ciel même a fourni le remède, en rehaussant leur fin par le mystère, faisant d’elle un triomphe : Moïse, disparu sur le mont Moab, Romulus disparu aussi laissant planer le doute sur sa mort, Elie enlevé par un chariot de feu..., les vertus de notre République, ses forces de faire le Bien, ne sont pas éternelles et telles le Phénix ne renaissent pas forcément de leurs cendres. Au contraire le danger est grand. Nous voyons aujourd’hui à nos portes, en Ukraine, combien elles peuvent facilement les recouvrir. Il ne faut donc pas s’en remettre ni au Ciel ni à l’homme providentiel pour avoir la paix et la prospérité en France mais la construire au delà de toute échéance en agissant et en choisissant à point nommé.