«On ne fait pas d’élection avec des prières »Proverbe québécois

 

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  • Publié le 11 mars 2022
  • Mise à jour: 13 mars 2022

Des guerres de Religion en Europe

Engagé dans un rapprochement historique avec le patriarcat de Moscou depuis sa rencontre de 2016 à la Havane avec le patriarche Kirill, le pape François a appelé à l’arrêt de la « guerre » en Ukraine à plusieurs reprises. Mais à bien y regarder, il n’a pas formellement condamné l’invasion russe. Il a déploré un « pays martyrisé » et demandé que « cessent les attaques armées ». Il a envoyé deux proches cardinaux en Ukraine et il s’est rendu en personne à l’ambassade russe auprès du Saint-Siège au lendemain du déclenchement des hostilités. Mais de condamnation formelle de l’offensive russe, on ne trouve pas trace dans ses propos. Un catholique qui n’écouterait que lui serait bien en peine de savoir qui l’a déclenchée.
On en viendrait à penser que le Vatican n’a d’yeux (Dieu) que pour Moscou. Peut-être parce que la la religion catholique compte de plus en plus de fidèles parmi la population chrétienne russe et que l’influence du Patriarcat de Moscou s’est récemment étendue à l’Afrique. Des conceptions communes, celles de la famille, et des combats communs comme ceux contre le mariage gay, la GPA, l’avortement, sont plus sûrement le ciment d’une alliance entre les deux Églises. Peut-être, aussi, que le patriarche orthodoxe de Moscou en opposition avec Constantinople est vu comme un allié dans ce vieux différent, qui sans être une haine recuite, oppose l’Église catholique de Rome à l’Église orthodoxe du patriarcat oecuménique de Constantinople depuis le schisme chrétien de 1054. D’ailleurs l’Église orthodoxe considère toujours le pape comme un patriarche, celui de Rome ; il a une place de primauté en cas de concile œcuménique et non une place comme chef de l’Église, cette place étant celle du Christ.

Dans le contexte du Conflit en Ukraine et dans la recherche de ses différentes causes, il semble intéressant de regarder celles à l’origine de la rupture définitive intervenue en 1054 entre l’évêque de Rome, à l’époque Léon IX, et le reste de la Pentarchie. Quelles sont-elles ? Tout d’abord, avec la disparition de l’influence de l’Empire romain d’Orient en Italie, au profit des Francs et des Normands, la Papauté n’a alors désormais plus qu’un souci : renforcer son autorité spirituelle sur ces puissants voisins ; par ailleurs, la rivalité politique entre Léon IX et le patriarche de Constantinople Michel Cérulaire (Keroularios) ne cesse de croitre, le premier interprétant son statut de Primus inter pares dans le sens d’une autorité canonique sur les autres Patriarches, le second réfutant cette interprétation ; et pour finir le Pape veut absolument uniformiser dans le sens latin les rites du sud de l’Italie, récemment conquis par les Normands sur les Byzantins et se heurte à l’opposition farouche de Michel Cérulaire, tout aussi soucieux de les uniformiser mais dans le sens grec, un différent dont la pierre d’achoppement finale concerne l’usage du pain azyme (dont la pâte n’a pas été levée) dans la liturgie de l’Occident.
Ces enjeux qui ont prévalu dans le grand schisme chrétien, des enjeux de détention et d’exercice du pouvoir politique et spirituel, mais aussi anthropologiques (langue et tradition), ne les retrouve-t-on pas à l’arrière plan du conflit entre la Russie et l’Ukraine ? Ne sont-ils pas aussi une partie des causes de l’invasion de l’Ukraine, des motivations du Président russe et de sa vision du monde actuel, construite à l’aune d’un ressassement de l’histoire, notamment celle du XXe siècle, d’une vision réduite au passé qu’il faudrait revivre, sans pour autant le faire renaitre (ce qui explique l’utilisation par V. Poutine de l’argument de la dénazification, argument qui sous-entend son opposé, celui d’une russification associée à la grande victoire de l’URSS sur les Nazis, synonyme de sa toute puissance).

Du point de vue du pouvoir politique et de l’anthropologie, la réponse n’est pas évidente car l’histoire s’adresse aux uns et autres pour donner à l’Ukraine une origine territoriale et politique tantôt fondatrice de la Russie avec la Rus’ de Kiev, tantôt autonome et indépendante au sein de l’URSS pour cette raison, et le plus souvent - dans un raisonnement circulaire qui fait des conséquences, les causes (probablement celui qui est à la base de la politique de Vladimir Poutine) – une Ukraine qui doit tout à la Russie soviétique issue de la révolution de 1917. L’URSS n’existant plus en tant que telle, donc l’Ukraine n’existe pas en tant qu’État, ni même comme « république amie » et « peuple ami ».
Du point de vue du pouvoir spirituel, cela semble plus clair. Eclipsée pendant plus de 70 ans pendant la période soviétique, la religion russe orthodoxe, l’institution, a elle aussi vécu sa pérestroïka et la fin de l’Union soviétique. Si sa mue a été beaucoup plus lente que celle de la société civile russe (et ukrainienne), à son grand bonheur ainsi qu’a celui du pouvoir russe elle finalement retrouvé toute son aura d’antan, celle de l’époque tsariste et de son hégémonie théologico-politique sur l’Empire russe dont faisait partie l’Ukraine.
Mais le 11 octobre 2018, le Patriarcat œcuménique de Constantinople annonce son intention d’accorder l’autocéphalie à l’Ukraine qui lui demande, ce qui entraîne 4 jours plus tard une rupture de la communion de la part du Patriarcat de Moscou avec le Patriarcat œcuménique et crée un schisme entre ces deux Églises. Après un concile tenu à Kiev, une nouvelle Église ukrainienne est créée et le Métropolite Épiphane est élu à sa tête le 15 décembre 2018 et le 5 janvier 2019, l’autocéphalie de l’Église orthodoxe d’Ukraine est reconnue par le Patriarche œcuménique Bartholomée mais non reconnue par le Patriarche de Moscou ainsi que par d’autres églises. Les dés sont jetés. Des paroisses basculent dans la nouvelle église (12 000 environ pour 16 000 encore rattachées au Patriarcat de Moscou). Les relations se tendent au sein de la communauté orthodoxe ukrainienne accentuant les velléités d’indépendance des séparatistes du Donbas qui revendiquent la culture russe, toute la culture russe. Les affrontements du Donbas qui ont commencé en 2014 ont été les prémisses à ce conflit religieux orthodoxe. La guerre actuelle n’en est que la prolongation. Le 28 février dernier, nous l’avons relaté, des « saboteurs » russes ont été neutralisés dans la cathédrale principale de l’Église orthodoxe d’Ukraine : Le métropolite Epiphane étaient la probable cible des Russes.
Depuis, quasiment toutes les églises orthodoxes, y compris celle d’Ukraine encore rattachée au patriarcat de Moscou, ne cessent de lancer des appels au Patriarche Kirill (qui soutient ouvertement l’invasion russe) afin qu’il intercède auprès de Vladimir Poutine et fasse cesser les combats et leurs atrocités pour la population ukrainienne. En vain jusqu’à cette heure.
L’idée qu’une guerre de Religion est une guerre opposant les partisans de religions différentes a depuis longtemps volé en éclat. Il suffit de regarder les causes des guerres au Proche et Moyen Orient. Mais en Europe nous en étions restés au terrible massacre de la Saint-Barthélemy comme symbole des guerres de Religion. Cela n’est plus le cas visiblement. Il va falloir s’y faire. Pire, il faut se faire à l’idée que les guerres de Religion sont et peuvent être à l’avenir un ingrédient de conflits en Europe. Avis au pape François et surtout à tous les dirigeants politiques et chefs d’État européens.

Evénement
Solidaires !

L’invasion de l’Ukraine par la Russie ne doit laisser personne indifférent !!! Outre les condamnations, il faut agir pour redonner et garantir son intégrité territoriale à l’Ukraine afin d’empêcher tout autre pays de suivre l’exemple terrible de cette invasion par la force.

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