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  • Publié le 16 septembre 2022

Euthanasie et suicide assisté : du droit à mourir et de la religion

À l’issue de l’avis rendu ce mardi 13 septembre par le Comité d’éthique qui juge possible « une aide active à mourir » strictement encadrée, le président de la République a annoncé le lancement d’une large consultation citoyenne sur le sujet de l’euthanasie et du suicide assisté, interdits en France, en vue d’un hypothétique nouveau « cadre légal » d’ici la fin 2023.

Depuis cette annonce, le flux de témoignages de malades se sachant condamnés, de proches de malades décédés ayant eu recours à l’euthanasie, jusqu’à la disparition de Jean Luc Godard, volontaire apprendra-t-on peu de temps après son annonce, ne tarit pas. Les réactions aussi. Celles des religions évidemment. Et si l’on connait la haute estime dans laquelle le judaïsme tient la médecine, on ne s’étonnera pas que le grand rabbin de France, Haïm Korsia, soit le premier responsable à s’inquiéter auprès de La Croix, de la possible légalisation de l’aide active à mourir, dans laquelle il voit une « rupture anthropologique tragique », l’effort devant porter, selon lui, sur le développement des soins palliatifs. Pourquoi cette position ? En fait, dans le judaïsme, l’affliction de la maladie ne diffère pas de celle de la pauvreté. Dans les deux cas, les hommes sont invités à laisser la théologie à Dieu et faire leur devoir moral. Le devoir de charité du médecin est à l’image de l’agir de Dieu pour les êtres humains. Ce faisant le judaïsme comme le christianisme ne connaît pas l’expression « caractère sacré de la vie » mais bien celle de « valeur infinie de la vie ». Le sacré ne relève pas de la charité. Une première conséquence de ceci concerne la tâche du médecin. Ce dernier doit aider ses patients à retrouver leur force spirituelle aussi bien que leur bien-être physique. Une deuxième conséquence tient au refus de toute discrimination à l’égard de quelle que forme de vie humaine que ce soit. L’obligation s’impose de sauver toute personne, quel que soit son handicap et sa gravité. Une troisième conséquence a trait au fait que Dieu est le maître de la vie. Nul n’a un droit sur la vie des autres ou la sienne propre. La vie est un don de Dieu qui a été confié à la charge de l’homme : Dieu seul donne la vie et lui seul peut la reprendre. Cette dernière conséquence que nous voulons mentionner intéresse notre propos puisqu’elle touche le patient lui-même : ce dernier a l’obligation de se faire traiter. La souffrance et la qualité de la vie ne sont pas des facteurs à prendre en compte dans une décision médicale. L’arrêt de traitement, tel qu’en parle le christianisme, est ici inacceptable. Mais alors que faire dans les situations où le patient demande que les traitements soient arrêtés et d’autres où le médecin reconnaît que ses moyens thérapeutiques ont épuisé leur efficacité. Pourquoi alors poursuivre les traitements ? Jusqu’où va l’obligation de traiter et de se faire traiter ? Les valeurs juives sont prise en étau par les développements de la biomédecine et de ses moyens palliatifs qui paraissent finalement rendre impossible le respect de ces valeurs.
« L’acharnement thérapeutique » de la pratique des soins palliatifs peut ici paraître paradoxal vis à vis de l’idée de paradis et de vie dans l’au-delà - la plus belle récompense que quelqu’un puisse espérer en religion. Mais sa préoccupation illustre bien celle de toutes les confessions en général qui invitent leurs fidèles à prendre les meilleures dispositions pour se garder en bonne santé car pour celles-ci, tomber malade, c’est être blessé et arrêté dans son cheminement. La vie devenue handicapée a besoin de guérison ou de salut, Salut signifie aussi santé, en latin et dans quelques langues modernes. Les grands prophètes et les textes religieux fondamentaux n’exhortent jamais les croyants à précipiter leur mort : la vie est un don de Dieu.

Les religions sont donc dans une constante recherche d’équilibre entre le présent et l’au-delà, les deux témoignant de l’œuvre de Dieu tout en ayant une vision de la médecine comme représentant l’une des expressions du salut offert à l’homme pour ces « deux mondes ». Ce sont deux raisons qui conduisent ces traditions spirituelles à refuser l’euthanasie et l’aide médicale au suicide comme réponse à la maladie terminale. Ces dernières nieraient l’Espérance, c’est à dire la vie qui est toujours appelée à grandir malgré les limites qui l’assaillent. Bien sûr, le problème ne se posait pas autrefois à la manière d’aujourd’hui. La mort était alors reconnue comme inéluctable. Se dégage ainsi une dynamique à double volet : adoucir la maladie mais ne pas chercher à vaincre la mort.

Voilà qui paraît expliquer la position du grand Rabbin de France. Cela résume aussi l’horizon de sens du « bien mourir » dans les traditions des religions du Livre et nous permet de regarder sa transgression, le droit à mourir dans la dignité, cette « bonne mort » qui dans les années 50 , signifie mourir à la maison entouré des siens : le médecin s’est retiré, le prêtre est venu, la famille s’affaire auprès du malade qui est conscient de l’événement mais que la faiblesse rend quasi incapable de s’exprimer, les activités se poursuivent mais avec une gravité particulière. Il se passe quelque chose d’important et de profondément triste. Vingt-cinq ans plus tard, au milieu des années 1970, la « bonne mort » a déjà pris une autre forme. La mort, avec le progrès de la science et de la technique, est maintenant médicalisée, elle est à l’hôpital, elle doit être silencieuse. Puis contre les excès de la mort médicalisée, s’amorce un nouveau discours. Ce dernier met l’accent sur la responsabilité de la personne malade à participer aux décisions qui la concernent. C’est la naissance des soins palliatifs, du testament de vie, du droit à l’arrêt de traitement. Les professionnels se spécialisent dans l’aide aux mourants (on pourrait même les considérer comme des nouveaux clercs). Ils se donnent comme tâche de permettre à ces personnes de mourir sereinement, c’est-à-dire après avoir vécu les différentes étapes du bien mourir. c’est-à-dire permettre aux personnes mourantes de vivre avec sens et dignité la dernière phase de leur vie. On assiste dès lors à l’émergence du droit à la mort et à une mort digne, plus adapté aux situations nouvelles engendrées par les développements de la biomédecine et la reconnaissance des droits de l’individu. La « bonne mort » repose désormais sur le droit quasi absolu de la personne malade de déterminer le moment de sa mort et de l’effectuer avec le soutien d’un professionnel. L’autonomie et la responsabilité de l’homme est alors ici totale face à sa propre finitude. Car l’être découvre la faille que constitue la maladie sur laquelle il évolue et découvre en même temps que rien ne peut la recouvrir. Cette faille ouvre-t-elle sur la faillibilité, cette « faiblesse constitutionnelle qui fait que le mal est possible » comme s’interroge Paul Ricoeur dans Finitude et culpabilité. L’homme faillible. Certes quand le malheur nous saisit la question qui traverse l’esprit devient parfois : pourquoi cela m’arrive et n’arrive pas aux autres (question qui peut d’ailleurs être : mais pourquoi cela arrive aux autres et pas à moi) ? Cette question n’est-elle pas celle qui fait passer de la faille à la faute ? A la faute originelle à l’idée de ce péché, faille de la nature humaine, cause de sa finitude ?

Le travail de cette convention citoyenne qui sera organisée par le Conseil économique, social et environnemental dès octobre sur l’euthanasie et le suicide assisté, ne devra donc pas simplement élaborer un questionnement légal et éthique sur ces sujets mais aussi social afin de trouver les réponses aux questions que posent les traditions religieuses sur la fin de vie et qui reposent sur une critique de la manière avec laquelle la société moderne aborde le sens de la mort. Face à cette échéance, les religions mettent l’accent sur la tension caractéristique de l’expérience humaine : tension entre le corps et l’esprit, l’ici maintenant et l’avenir, l’immanence et la transcendance, la finitude et l’infini. La société moderne met plutôt l’accent sur le contrôle à exercer au moment de la mort : contrôle de l’individu sur le moment de sa mort et contrôle de la médecine sur les traitements à offrir ou non.
Pouvoir envisager sereinement la fin de vie dans l’idée du droit à mourir thérapeutique ou volontaire en fin de vie ne nécessite-t-il pas d’abandonner toute construction religieuse de culpabilité et, pour disposer de la protection due à tout citoyen, d’accepter de rester fragile, comme l’est chacun de nous depuis sa naissance, mais pas vulnérable à autrui et par autrui ? Les conclusions de la convention citoyenne nous le diront peut-être. Gageons qu’elle sache nous poser la question.

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