Cet article est en consultation libre
- Olivier KONARZEWSKI
- 06 52 53 40 20
- Envoyer email
- Publié le 18 février 2022
La règle du « je »

Vous avez sans doute lu ou entendu parler cette semaine de ces milliers de baptêmes qui ont été invalidés aux États-Unis par l’Église catholique. En utilisant une formule incorrecte, remplaçant le « je » de la formule « Je te baptise » par un « nous » ce prêtre de la ville de Phoenix, Andres Arango a rendu des milliers de baptêmes invalides. L’erreur paraît anodine. Mais le diable se cachant dans les détails, la mésaventure nécessite quelques explications qui nous plongent au « cœur-réacteur » du processus de conversion et des professions de foi : des formules des actes de foi.
« Je te baptise ». « Je t’absous ». « Je promets ». « Je crois ». On le dit, c’est fait. Celui qui le dit, le fait. Dans l’univers de champ linguistique de la conversion religieuse, le langage ne décrit pas la réalité (ce que l’on appelle le constatif), il crée la réalité, c’est le performatif mais il affirme aussi un certaine réalité, c’est le langage de la foi. Le « je » est performatif, c’est le « je » du témoignage. On ne peut témoigner qu’à la première personne. En disant « Je témoigne », je m’engage à
dire la vérité, je jure que j’ai été présent, que j’ai perçu l’événement par l’un de mes sens (voir,
entendre, toucher). L’événement m’a été présent dans l’espace et dans le temps, donc vous devez me
croire (comme si l’évidence sensible valait aussi pour les destinataires). J’ai été présent à la chose, ici et maintenant. Je l’ai perçue, elle est toujours représentée dans ma mémoire.
Contrairement aux apparences d’une annonce tapageuse, cet épisode récent d’invalidation de milliers de baptêmes trouve sa source en août 2020, lorsque la Congrégation pour la doctrine de la foi a dénié la validé des baptêmes administrés avec des formules arbitrairement modifiées, comme « Nous te baptisons… » au lieu de « je » dans une note doctrinale publiée le 6 août 2020 dans le Bollettino du Saint-Siège et approuvée par le pape. Cette note explique que la validité du baptême dépend du sens objectif des paroles du rituel : Avec le « je » c’est le Christ, dont le prêtre ou l’évêque ne sont que les ministres, (ainsi que de l’Église, Corps mystique du Christ) qui baptise, non la communauté. Ainsi, si le prêtre dit « Nous te baptisons », il se transforme en fonctionnaire délégué par l’assemblée ; le baptême devenant autocélébration, horizontale et immanente. Les sacrements institués par le Christ ne sont plus alors qu’une oeuvre humaine qui ne saurait donner la grâce. Le pronom « nous » est donc d’une importance, qui peut ruiner l’ensemble. De tels baptêmes ne sont donc pas vus par l’Église comme seulement fautifs, illicites : ils sont invalides. Le sacrement n’est même pas donné.
Ainsi, les formules « Je te conseille de... », « Je jure que... », « Je t’ordonne de... », « je te baptise », « je te pardonne » réaliseraient l’action qu’elles expriment au moment même de l’énonciation. Insérés dans des énoncés ces verbes leur confèrent « la performativité » qui est le fait pour un signe linguistique (énoncé, phrase, verbe, etc.) d’être performatif, c’est-à-dire de réaliser lui-même ce qu’il énonce, de faire advenir une réalité. À l’inverse du verbe être qui forme des énoncés qui décrivent la réalité sous le mode de la logique du prédicat « S est P » et donc sont sujets à la véridiction (la pomme est verte, ce qui peut être vrai ou faux), les verbes performatifs font des énoncés qui ne sont ni vrai-ni faux mais soumis aux conditions de la félicité : ratés ou réussi. Mais encore faut-il y rajouter des conditions comme la fonction, la qualité pour les prononcer. Seul un ecclésiastique peut baptiser et un juge peut condamner, faire de « ce qui est dit, ce qui est fait ».
Donc nonobstant la qualité de celui qui le prononce, le « je » est capital dans l’acte de foi comme dans tout acte de langage performatif. Il est la marque de son accomplissement.
On pourrait alors valablement s’interroger sur l’emploi généralisé du « nous » dans le discours social et politique pratiqué au quotidien de notre République démocratique, du plus courant au plus essentiel.
Car si l’on se réfère à l’argument théologique évoqué ci-dessus, le « nous » semblerait alors condamner la société à l’inefficience, à l’échec de ses discours, à l’invalidité de ses promesses. Il n’en est pourtant rien car dans la République française le nous est un « je » multiple qui la constitue dans une addition de singularités, d’individus, de citoyens qui n’y sont pas identifiés par leurs croyances, et qui se déterminent par rapport à elle et à ses promesses et non par rapport à un « nous ». N’est-ce pas là le siège de la liberté de conscience, le meilleur parti à rallier en ces temps électoraux aux débats identitaires bien discutables pour être souvent éloignés de cette conception du « je(u) » républicain, de ce que certains voudraient voir disparaitre : la laïcité, un principe constitutionnel soutenant et soutenu par une loi liberté et non un droit de créances.

Solidaires !
L’invasion de l’Ukraine par la Russie ne doit laisser personne indifférent !!! Outre les condamnations, en 2024, il faut continuer d’agir pour redonner et garantir son intégrité territoriale à l’Ukraine afin d’empêcher tout autre pays de suivre l’exemple terrible de "l’opération spéciale" russe.
Informations