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  • Publié le 4 février 2022
  • Mise à jour: 10 février 2022

Liberté d’expression et espace public : quelles limites ?

Dans le contexte de la campagne présidentielle où la majorité des propositions des candidats et des débats se concentrent sur les sujets identitaires, un fait divers vient à point nommé nous interroger sur la publicité des idées, et notamment des idées politiques et religieuses dans l’espace public, sur la licéité de leurs modes et de leurs contenus, sur l’affichage sauvage et les interdiction faites par la loi du 29 Juillet 1881.

De quoi part-on ? Depuis plusieurs mois à Grenoble, une fresque montrant une femme voilée porteuse d’une étoile jaune recouvrait (car la fresque a été recouverte de peinture noire la semaine dernière) un mur proche du musée de la Résistance et de la Déportation de l’Isère. Peinte l’été dernier au pochoir par l’artiste Goin et intitulée « Bad religion ? », elle représentait une femme portant un hijab (voile islamique) à rayures bleues et une étoile jaune marquée du mot « muslim » (musulman). Dénoncée récemment par le Crif, l’image de multiples fois photographiée fait désormais l’objet d’une enquête du parquet de Grenoble pour « contestation de l’existence de crime contre l’humanité ».
En juillet dernier sur les réseaux sociaux, le Street Art Fest Grenoble Alpes avait signalé la présence du « sublime pochoir » de Goin dans une rue de la ville. Contacté jeudi par l’AFP, peut-on lire dans les colonnes de Ouest-France, le directeur du festival, Jérôme Catz, a affirmé cependant que la fresque n’avait « aucun lien » formel avec son festival, ajoutant, « On a déjà invité cet artiste à différentes reprises mais ce n’était pas le cas l’an dernier, il est venu après le festival et a réalisé des œuvres là où il le souhaitait », tout en s’interrogeant sur le calendrier de la polémique : « Cette fresque était visible depuis des mois, pourquoi ça sort maintenant ? ». La réponse est évidente, nous sommes dans une campagne électorale où l’identitaire et l’identité sont des enjeux majeurs pour une majorité de candidats, de droite.
D’ailleurs, l’adjointe à la Culture du maire EELV de Grenoble, Éric Piolle, a répondu au Crif que la Ville n’avait pas été informée de la réalisation de la fresque, dont le propos « sans nul doute provocateur » ne lui semblait pas, toutefois, « dépasser les limites de la liberté d’expression » quand de son côté Laurent Wauquiez a demandé la suppression de la fresque et retiré les subventions de la Région au festival.
Quant à l’artiste il a répondu aux critiques dans les colonnes du Dauphiné Libéré : « Mon œuvre reflète la douleur des musulmans et des juifs qui se battent depuis des millénaires. Ce qui se passe entre eux est affligeant et ne devrait plus se produire à notre époque », a-t-il déclaré. « Cette œuvre d’art est un mémorial pour tous ceux qui voient une menace dans la religion ou dans l’origine de l’autre. Plus jamais ça ! C’est cette évidence que j’ai voulu redire ! », a-t-il ajouté, poursuivant ainsi la défense de son amalgame illustré de la Shoah avec des symboles et signes religieux ostensibles qui ne donnent rien à penser de commun, ne font signe vers rien de commun, ne renvoient à rien de commun, sauf à être recouvert de cette pseudo-intention (figurative) « d’humanisme » qu’il affirme.

On manquerait de place pour s’étendre ici sur l’inanité historique, culturelle, sociale et religieuse de cette figure et de la discuter comme « contestation de l’existence de crime contre l’humanité ». Par contre on peut déjà s’interroger sur son statut, et donc sur le statut du street-art, et son affichage sur un mur d’une ville, en l’occurence de Grenoble. Car il s’agit bien d’un affichage qui fait la publicité d’une idée (en plus d’être une réclame pour son auteur). Il reste encore assez d’anciennes publicités peintes sur les murs pignons de nos villes pour pouvoir mener la réflexion parallèle qui devrait nous amener à distinguer dans le street-art ce qui relève de la liberté d’expression et de la publicité, de l’art et de l’affichage sauvage condamnés par la loi et trop peu surveillés.
Généralement, on entend par publicité l’action de rendre public versus le résultat de cette action.
Dans sa forme, il s’agit de toute inscription, forme ou image destinées à informer le public ou à attirer son attention ; les dispositifs dont le principal objet est de recevoir lesdites inscription, forme ou image, étant assimilés à des publicités. Dans nos villes, le choix de passer de l’affiche papier à la peinture à même le mur fut conduit par la recherche de visibilité, du gigantisme capable de frapper les esprits, de la proximité et de l’insertion du message dans le quotidien. Le street-art a repris ce code et ce mode d’expression. Mais en-est-il pour autant un mode exclusif de la liberté d’expression et en quoi échapperait-il au mode de la réclame et de la propagande ? Ici l’art ne fait qu’un avec la politique, l’auteur le revendique, il fait la publicité de symboles, les agrège pour former une composition picturale, délivre un message pour faire la publicité d’une idée qui n’a rien d’universaliste mais cherche à le devenir sous la forme d’une « opinion publique » qui vise à un consensus transgressif fabriqué, prêt à l’acclamation, prêt à transformer la nature de la domination d’un ordre établi, un ordre de nature politique et non artistique.
Il faut rappeler que toute publicité doit mentionner, selon le cas, le nom et l’adresse, ou bien la dénomination ou la raison sociale de la personne physique ou morale qui l’a apposée, ou fait apposer (article L581-5 du Code de l’Environnement). Le fait de faire de la publicité de façon anonyme n’est donc pas possible légalement. Ainsi une affiche électorale se doit de répondre à ces critères pour être licite et faire la publicité des idées d’un parti incarnées (ou non) par un candidat.

Cela nous amène à réinterroger le rapport entre l’espace public et le street-art qui se voudrait, dans ce cas précis comme une conception et une instance discursive de la démocratie.
La mention « Défense d’afficher » de la loi du 29 Juillet 1881 correspond en fait à la loi de la liberté de la presse, qui lui impose des limites, comme par exemple ne pas atteindre à l’honneur d’un citoyen. L’affichage public a ainsi été limité, la loi prévoyant que certains espaces n’étaient pas des supports d’affiches. On se demande bien souvent si cette loi est respectée, principalement en temps de campagne électorale, au vu de l’affichage sauvage de bien des candidats, défigurant totalement la ville. C’est pourtant le Maire, ou à défaut le Préfet sur demande, qui dispose du pouvoir de désigner les lieux destinés à l’affichage public.
Alors, n’aurait-il pas fallu que la nature de cette fresque artistique soit d’abord examinée et soumise à autorisation. « Oui, mais alors et la liberté d’expression ! » répondras-t-on !. Mais dans l’organisation des festivals de street-art, n’y-a t-il pas de critères de sélection et ne sont-ils pas liés à un lieu, à un thème ? De fait, la liberté d’expression ne s’y trouve-t-elle pas déjà limitée, n’y dépend-elle pas du cadre dans lequel elle s’exerce et se déploie ? La Publicité d’aujourd’hui dans l’espace public se contente bien souvent d’accumuler les comportements-réponses dictés par un assentiment passif. C’est un grand risque, à nouveau révélé par cet épisode, une leçon de vigilance. Car quelle différence entre cette figure de street-art dans l’espace public et une mauvaise publicité, une publicité mensongère sur l’histoire, la politique, les religions, sans l’intervention du Crif...

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