Roubaix : l’arbre qui cache la forêt ?

L’expression n’est pas ancienne. Elle date du XXe siècle. Métaphore utilisée pour désigner une personne qui se fixerait sur un détail au lieu de voir quelque chose dans son ensemble comme quelqu’un qui ne verrait qu’un arbre et non pas la forêt, elle traduit un manque d’objectivité.
Un sentiment qui a été largement ressenti et partagé par les habitants à la suite du tollé médiatique sur la montée du séparatisme en France et notamment à Roubaix soulevé par le reportage Zone Interdite diffusé dimanche 23 janvier sur M6.
Son objectivité n’est pas discutable sur le réel de ce qui a été filmé mais elle l’est beaucoup plus comme image de la réalité d’une ville comme Roubaix qui compte tout de même 98 000 habitants, aujourd’hui en majorité vent-debout contre ce reportage.

Des quartiers comme le quartier Anseele de Roubaix, il y en a des centaines en France. Dès 2002, l’ouvrage « Les Territoires perdus de la République », pointait les dérives communautaristes auxquelles sont confrontés les professeurs dans les écoles des quartiers populaires de nos villes et banlieues et leurs corolaires d’insécurité et de trafics divers et variés alimentant une économie grise chiffrée en 2020 par l’Insee à 2,7 milliards d’euros (0,1 % du PIB). Aujourd’hui plus de 600 quartiers sont considérés comme des territoires « perdus ». C’est le Syndicat France Police qui l’écrivait à Emmanuel Macron en mai 2021 en lui demandant de procéder « à leur bouclage » après deux nouveaux assassinats de policiers, l’une égorgée par un terroriste islamiste à Rambouillet, l’autre un fonctionnaire abattu par balle à Avignon par un membre d’un gang de narcotrafiquants.
De nombreux élus locaux sont les témoins impuissants ou parfois complaisants de ce phénomène qui affaiblit la République française.

Et c’est encore tombé sur Roubaix. C’est la deuxième fois car en 2015, Zone interdite y avait déjà fait un reportage. Cette fois-ci, au cours des vingt minutes consacrées au développement du communautarisme à Roubaix, le reportage décrit des quartiers comme « ayant basculé dans l’intégrisme », avec la vente de poupées sans visage, censées respecter les principes de l’islam, dans certains commerces de la ville. Il revient également sur l’affaire AIR (Association Ambitions et initiatives pour la réussite), une association qui propose des cours de soutien scolaire, accusée depuis mars 2021 de prosélytisme religieux sur fonds publics. Les subventions, suspendues depuis le 1er mars 2021 devront être remboursées et le maire (DVD) de Roubaix, Guillaume Delbar, est poursuivi pour les avoir octroyé. Egalement « Épinglé » par l’émission comme mettant à disposition des box permettant aux femmes voilées de déjeuner ou dîner à l’abri des regards, le restaurant Le Familial, situé dans le centre-ville de Roubaix a été fermé mercredi dernier par la préfecture, a-t-on pu lire dans La Voix du Nord. Raison officielle ? « Non-respect de la réglementation en matière d’hygiène et de traçabilité alimentaire ». La coïncidence interroge le motif, même s’il y a la nécessité évidente à ce que l’État intervienne pour faire appliquer la loi et désormais celle du 24 août 2021 « confortant le respect des principes de la République ».

En déplacement lundi à Arras (Pas-de-Calais), dans une réaction rapportée par France 3, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, qui intervient dans le reportage de M6 en a rajouté : « deux librairies » à Roubaix considérées comme prônant des valeurs « contraires à celles de la République » ont été fermées. Mais il s’est voulu rassurant « Je ne confonds pas l’immense majorité des musulmans de France qui vivent leur foi en respect total des valeurs de la République, mais on combat très fortement la minorité qui veut imposer la loi ». Le Ministre est encore à Roubaix ce vendredi matin, mais cette fois pour assister à la cérémonie de sortie de la 261e promotion de gardiens de la paix de l’école nationale de police de Roubaix.
Il est heureux que le ministre réaffirme ne pas confondre l’immense majorité des musulmans de France qui vivent leur foi en respect total des valeurs de la République avec « la minorité qui veut imposer la loi », autrement dit les islamistes (salafistes et autres wahhabites), l’arbre qui cache la forêt donc... On ne peut cependant que regretter, qu’une fois encore l’amalgame entre ces islamistes et les musulmans n’est pas été clairement défait dans ce reportage où il est intervenu et que sur la place de l’Islam en France, sur lequel le FORIF s’apprête à débattre, le ton soit à nouveau monté d’un cran et d’un cran nauséabond de campagne politique : faisant référence à ce reportage de Zone Interdite, hier soir sur C8, dans l’émission Face à baba de Cyril Hanouna, Eric Zemmour opposé à Jean-Luc Mélenchon lui a asséné : « l’avenir de la France avec monsieur Mélenchon et avec sa créolisation, c’est Roubaix, c’est l’Afghanistan à deux heures de Paris ».

Avoir fait de Roubaix en la stigmatisant l’arbre qui cache la forêt plutôt que celui qui la dévoile conduit à une métaphore de la métaphore : « Quand le sage désigne la Lune, l’idiot regarde le doigt. »
Les remèdes et les solutions sociales et sociétales ne logent pas dans les lucarnes de la télévision ni sur les écran des smartphones ou des tablettes. Il n’y règne que l’émotion de l’information sans aucune éducation. De tels reportage ne conduisent qu’à diminuer le nombre des sages et à éloigner la connaissance pour les adultes et le savoir chez les plus jeunes. A cultiver l’amalgame et les peurs qui conduisent à la discrimination aveugle.
On choisira ainsi pour exemple ces poupées sans visages dénoncées par le reportage et commentées sur BFMTV le 23 janvier par Geoffroy Lejeune et Jean Baptiste Boursier d’un « Les poupées sans visage sont une manière d’appliquer l’Islam ». Sur son fil twitter « Islam fact checking », la Fondation de l’Islam leur répond et rappelle, bien à propos, que « le prétendu aniconisme (absence d’image) de l’islam est relativement récent. Pour preuve les magnifiques miniatures persanes et ottomanes qui représentent autant de visages, de silhouettes, de scènes et de paysages. Des personnages de la tradition islamique, à commencer par le prophète lui même y sont représentés. La sphère wahabo-salafiste mène une charge contre la représentation sculpturale et picturale et contre l’esthétique en général, en essayant notamment de l’inscrire dans le temps. Affirmer que cette aniconisme est caractéristique de l’islam est une erreur manifeste et traduite une méconnaissance du sujet ». Et la fondation ajoute encore « Que des jouets destinés aux enfants, symbole de la vie, en arrivent à être privés de visage dénote un obscurantisme que nous dénonçons fermement. L’imaginaire des enfants doit être nourri et non mutilé et obscurci. Education et culture sont le visage de notre résistance ».

Effectivement, depuis très longtemps, la circulaire du ministre de l’Education et des Beaux-Arts du Front populaire, Jean Zay, datée de décembre 1936, est ignorée et trahie. « Ceux qui voudraient troubler la sérénité n’ont pas leur place dans les écoles qui doivent rester l’asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas », y affirmait ce résistant assassiné par la Milice et dont la dépouille repose désormais au Panthéon.
Au fait, qu’a-t-on dit, ces derniers jours, dans les collèges et les lycées, à la nouvelle génération des « territoires perdus », de Roubaix, de cet hommage à l’esprit de la France libre ?