«On ne fait pas d’élection avec des prières »Proverbe québécois

 

Église catholique : ce qu’il faut absolument changer

Dans son rapport sur la pédocriminalité au sein de l’Église catholique remis le 5 octobre, la Ciase a produit une liste de 45 recommandations à l’attention de la hiérarchie de l’institution en vue de réparer ce qui a eu lieu et de prendre les mesures fortes et nécessaires pour anéantir de manière irréversible les causes qui ont conduit à cette situation. Nous avons extrait de cette liste les injonctions les plus fortes et qui nous ont semblé les plus nécessaires pour la commission Sauvé.

Bien au delà des quelques réformes engagées ces dernières années par l’Église catholique, notamment dans l’écoute des prêtres et des fidèles, la constitution de tribunaux diocésains et l’information des parquets sur les délits de pédocriminalité commis en son sein, les 45 recommandations de la Ciase invitent l’Église catholique à une évolution forte dans ses pratiques et sa gouvernance quand ce n’est pour certaines de ses recommandations, à une véritable rupture avec le passé et le présent d’une tradition, comme celle du célibat par exemple, qui contient en elle-même des germes de la pédocriminalité et de son occultation. Beaucoup de ces préconisations étaient déjà en débat dans la société et au sein de l’Église et des institutions catholiques.

Célibat des prêtres

Si le célibat des prêtres est étroitement lié à l’histoire de l’Église de Rome, à sa théologie, à ses traditions, à la relation entre le ministre du culte catholique et ses fidèles, le célibat n’a pas existé de tout temps au sein de l’Église. Le célibat des prêtres a été une demande qui a fini par aboutir à une interdiction formelle formulée et acquise définitivement en 1139 au moment du deuxième concile de Latran, les premières incitations remontant au premier concile d’Elvire, en Espagne, vers 300. Ce n’est donc pas un dogme mais une discipline et comme le rappelle la commission en faisant une référence à un texte de Saint Paul que nous citons en note, nullement la garantie de bons services rendus à Dieu et à sa création.

Recommandation no 4  :

  • identifier les exigences éthiques du célibat consacré au regard, notamment, de la représentation du prêtre et du risque qui consisterait à lui conférer une position héroïque ou de domination.
  • évaluer, pour l’Église en France, les perspectives ouvertes par l’ensemble des réflexions du Synode d’Amazonie, en particulier la demande que « ad experimentum, [...] soient ordonnés prêtres des hommes mariés qui remplissent les conditions que Saint Paul demande aux pasteurs dans la Première Lettre à Timothée » [1].

Préserver le discernement et le sens critique

Dans toute religion, il ne suffit pas de croire, mais de se conformer aux ois et prescriptions à respecter la liturgie, et à accomplir les devoirs institués par les sacrements. Les croyants sont donc invités à croire et livrés à l’obéissance qu’implique cette croyance qui se transforme alors en connaissance affirmée et attestée dans la profession de foi, donc non contesté et non contestable. La Ciase invite l’Église à revoir cette relation coercitive qu’elle établit dans la foi et s’ouvrir à une pratique éveillée de cette foi.

Recommandation no 6 :

  • veiller à toujours faire droit à la conscience dans le discernement et dans la vie religieuse, au sein des enseignements dispensés dans les facultés de théologie, les séminaires ou les formations diocésaines. Chercher dans ces enseignements à mettre au jour les voies d’une conscience éclairée par une intelligence critique ;
  • passer au crible l’enseignement des règles des différents ordres religieux et les règles des communautés dites nouvelles pouvant prêter au dévoiement des exigences d’obéissance et de silence ;
  • dans toutes les formes de catéchèse, enseigner aux fidèles et, en particulier, aux plus jeunes et aux adolescents l’exercice de la conscience critique en toutes circonstances.

Recommandation no 7 :

  • dans tout type de formation et de catéchèse, enseigner que les Évangiles donnent l’exemple d’une parole comme dynamique, non pas de pouvoir sur l’autre, mais de volonté de le faire grandir et advenir, rappelant que, comme dans un échange humain reposant sur des bases saines, la parole ne doit être prise que pour être donnée ;
  • mettre au jour les expressions bibliques dévoyées à des fins de manipulation et aider à une lecture à la fois critique et spirituelle de la Bible à tous les niveaux de la formation.

De la gravité du péché et du pardon

Dans l’Église catholique, l’organisation verbale de la confession, de l’acte d’aveu sous la forme que nous connaissons depuis la fin du Moyen Âge, n’est que le résultat visible de procédés par lesquels le christianisme a lié les individus à l’obligation de manifester leur vérité et leur vérité individuelle depuis le IIe siècle. Ce qui nait dans ce rapport au confesseur, c’est que la manifestation de la vérité n’est pas un aveu de foi mais un aveu « en vue d’éteindre une certaine dette du mal », pour la rémission des péchés. La Ciase appelle l’Église catholique à revoir le principe de « la tarification » (rapport acte/faute/pénitence) des péchés qui prévaut dans la confession depuis le XIIe siècle et jusque dans les dernières dispositions du droit canonique afin que les actes de pédophilie commis ne soient pas ou plus un pardon imposé au victimes, « l’absolution des victimes ».

Recommandation no 8 :

  • Passer au crible :
  • la disposition canonique dite de l’absolution du complice, radicalement inappropriée aux cas d’agression sexuelle ; le langage de certains documents du Magistère parlant de péché et de pardon lorsqu’il s’agit de délits et de sanctions, pour bien distinguer le domaine de la morale de celui du droit. Un délit implique toujours, en même temps, un péché, mais tout péché ne constitue pas un délit.
  • Dans tout type de formation et de catéchèse, comme en pastorale, enseigner :
  • la nécessité préalable de la sanction ou de la rétribution des crimes et des délits commis au regard de la loi de la République et de la loi de l’Église ; le risque de dévoiement du pardon en facile absolution des bourreaux, pire comme une exigence incombant aux victimes de pardonner à leurs persécuteurs ; ce que le rituel du sacrement de pénitence comporte comme pratiques de prévention contre l’abus. Le « Je te pardonne », ne peut pas être confondu avec un pouvoir personnel du prêtre sur la personne du pénitent ; que le secret de la confession s’inscrit dans le seul temps du sacrement de pénitence ;
  • Relayer, de la part des autorités de l’Église, un message clair indiquant aux confesseurs et aux fidèles que le secret de la confession ne peut déroger à l’obligation, prévue par le code pénal et conforme, selon la commission, à l’obligation de droit divin naturel de protection de la vie et de la dignité de la personne, de signaler aux autorités judiciaires et administratives les cas de violences sexuelles infligées à un mineur ou à une personne vulnérable (cf. Recommandation no 43).

Reconnaitre les victimes et les torts

Au delà de l’indemnisation des victimes la Ciase invite l’Église à un acte de contrition. Sans aveu, sans confession de sa part, il ne peut y avoir de pardon. Il est aussi question de gestes, les « satisfactions » pénitentielles, qui doivent être accomplis au titre de réparation spirituelle et religieuse.

Recommandation no 23 : Reconnaître, pour l’ensemble de la période analysée par la commission, au-delà de la responsabilité pénale et civile pour faute des auteurs des agressions et, le cas échéant, des responsables de l’Église, la responsabilité civile et sociale de l’Église indépendamment de toute faute personnelle de ses responsables.

Recommandation no 24  : Reconnaître la responsabilité systémique de l’Église. À ce titre, examiner les facteurs qui ont contribué à sa défaillance institutionnelle. Reconnaître que le rôle social et spirituel de l’Église fait peser sur elle une responsabilité particulière au sein de la société dont elle est partie prenante.

Recommandation no 25 : Reconnaître la responsabilité civique de l’Église et approfondir sur cette base un échange horizontal avec l’ensemble de la société.

Recommandation no 26 : Mettre en place des dispositifs concrets de reconnaissance, en concertation avec les personnes victimes et leurs associations : cérémonies publiques ; célébrations liturgiques faisant mémoire des souffrances infligées ; mémorial des victimes et de leur souffrance ; capacité d’interpellation des auteurs et d’information des victimes par l’Église.

Revoir l’organisation hiérarchique catholique et son pouvoir

Le sacrement est l’évènement qui s’accomplit pour manifester une absence. Dans la religion catholique, il s’agit de celle du Christ (Baptême, communion pour la Cène, ..). Cette absence du Christ est comblée par la présence des ministres du culte catholique qui agissent en son nom selon ses paroles, avec et sous son autorité. Cette situation est décrite chez Pascal et Montaigne dans leur expression « de l’irrécusable fondement mystique de l’autorité » qui est l’esquisse d’un raisonnement critique sur la justice, qui aboutit au paradoxe que l’établissement étant la source de la justice des lois, il n’y a dans le monde que des lois justes. C’est ce paradoxe que la Ciase renverse.

Recommandation no 34 : La commission considère qu’il convient de passer au crible :

  • la constitution hiérarchique de l’Église catholique au vu des tensions internes sur sa compréhension d’elle-même : entre communion et hiérarchie, entre succession apostolique et synodalité et surtout entre l’affirmation de l’autorité des pasteurs et la réalité des pratiques de terrain, de plus en plus influencées par des fonctionnements démocratiques ;
  • la concentration entre les mains d’une même personne des pouvoirs d’ordre et de gouvernement, ce qui conduit à insister sur l’exercice rigoureux des pouvoirs et, notamment, sur le respect de la distinction entre for interne et for externe ;
  • l’identification de la puissance sacramentelle avec le pouvoir.

Revoir la justice canonique

Le 9 mai 2019, le Vatican a publié un motu proprio intitulé « Vous êtes la lumière du monde » pour renforcer son arsenal contre les infractions sexuelles. Cette décision canonique affirme notamment l’obligation de dénoncer ces crimes aux autorités ecclésiales et met en place une procédure pour juger les évêques négligents. Ce qui a fait dire à certains grand juristes (catholiques), que la justice était une vraie justice. La Ciase ne partage pas totalement cette idée et propose des réformes de fond sur le droit et demande un changement d’organisation dans son exercice, une passerelle avec le droit commun.

Recommandation no 37 : Pour qualifier, en droit pénal canonique, les violences sexuelles commises sur des mineurs et personnes vulnérables, substituer à la référence au sixième commandement (« Tu ne commettras pas d’adultère »), une référence au cinquième commandement (« Tu ne tueras pas »), afin d’harmoniser l’interprétation du canon 1398 § 1 du code de droit canonique et de parer à tout dévoiement de cette norme.

Recommandation no 40 : Mettre en place sans délai le tribunal pénal canonique interdiocésain annoncé en mars 2021, en veillant à l’effectivité et à l’apparence de sa compétence et de son impartialité, notamment par une réelle collégialité et par l’intégration en son sein, non seulement de prêtres experts, mais aussi de juges laïcs spécialement formés.

Recommandation no 41 : Mettre la procédure pénale canonique en conformité avec les normes internationales sur le procès équitable garantissant, notamment pour les personnes lésées, le droit au recours, en particulier par l’accès effectif à un tribunal et par le libre choix de son avocat.

Revoir le secret de la confession

Cette demande est en lien direct avec les recommandations précédentes de la Ciase et un attendu de la société tout entière : la justice des hommes et celle de Dieu ne doivent faire qu’un. Dieu et ses représentant n’ont pas de prérogative en matière de justice. Le secret de la confession en cas d’agression sexuelle, de crimes et délits, ne fait d’eux que les receleurs du Mal, du vol de la Vie d’autrui. L’abolition du secret de la confession dans le cas d’agissements délictuels et de pédocriminalité est essentielle pour soutenir l’édifice de la manifestation de la vérité et mettre fin aux agissements et à la situation terrifiante révélée par la Ciase.

Recommandation no 43  : Relayer, de la part des autorités de l’Église, un message clair indiquant aux confesseurs et aux fidèles que le secret de la confession ne peut déroger à l’obligation, prévue par le code pénal et conforme, selon la commission, à l’obligation de droit divin naturel de protection de la vie et de la dignité de la personne, de signaler aux autorités judiciaires et administratives les cas de violences sexuelles infligées à un mineur ou à une personne vulnérable (cf. Recommandation no 8, inscrite plus haut).

Nous avons mis cet article en accès libre : « Soutenez Croyances & Villes » 

[1Sûre (est) la parole : Si quelqu’un aspire à l’épiscopat, il désire une belle fonction.
Aussi faut-il que l’évêque soit irréprochable, marié une seule fois, sobre, circonspect, honnête, hospitalier, apte à l’enseignement, point buveur, point querelleur, mais doux, pacifique, désintéressé, gouvernant bien sa propre maison, tenant ses enfants dans une soumission unie à une entière honnêteté — car si quelqu’un ne sait pas gouverner sa propre maison, comment aurait-il soin de l’Eglise de Dieu ? — point néophyte, de peur qu’enflé d’orgueil il ne tombe dans la même condamnation que le diable.
(...)
(Il faut que) les diacres pareillement (soient des hommes) honorables, point doubles dans leurs paroles, point adonnés au vin, point cupides, gardant le mystère de la foi dans une conscience pure.
(…)
Que les diacres n’aient été mariés qu’une fois ; qu’ils gouvernent bien leurs enfants et leur propre maison.
Car ceux qui remplissent bien le service de diacre s’acquièrent un beau rang et beaucoup d’assurance en la foi qui est dans les Christ Jésus. Lettre à Timothée, Chapitre 3 (Bille version Crampon 1923)

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